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La Traversée des temps - La lumière du bonheur - tome 4

Résumé

Comment guérir des violences du monde et de l’amour ? Faut-il choisir la solitude ou risquer de se brûler à la lumière du bonheur ? 

Une prophétie de la pythie de Delphes, la rencontre d’une ravissante Athénienne… et voilà scellé le sort de Noam, qui débarque en Grèce au Ve siècle avant Jésus-Christ.

Saura-t-il conquérir sa place dans cette ville de tous les possibles sensuels et amoureux, où sont en train de naître la démocratie, le théâtre et la philosophie ? Comment lui, ce métèque, cet étranger, pourra-il obtenir la citoyenneté athénienne pour pleinement participer à la vie de la cité, aux festivités, aux concours d’éloquence, voire aux Jeux olympiques qui commencent quelques mois plus tard ? 

À l’ombre de l’Acropole et des statues des dieux, dans les pas d’Aristophane et de Socrate, à la rencontre du médecin Hippocrate, du grand stratège Périclès ou de la troublante Aspasie, ce fascinant roman d’Éric-Emmanuel Schmitt nous transporte avec une érudition infiniment joyeuse aux sources mêmes de notre civilisation.

Critiques

Livres Hebdo - « Un marathon à la vitesse du sprint »

Le destin faisant bien les choses, La  lumière du bonheur , le quatrième volume de la saga romanesque d’Eric-Emmanuel Schmitt, La traversée des temps , se situe en Grèce au V siècle avant Jésus-Christ, et paraît juste avant les Jeux olympiques. Deux chapitres y sont d’ailleurs consacrés « à l’ invention du sport et à la compétition olympique ». L’écrivain explicite ici son projet, formidable défi littéraire mené tambour battant, et le replace dans notre contexte quotidien.

Livres Hebdo : La lumière du bonheur est le quatrième volume de votre saga romanesque La traversée des temps. Elle aurait pu s’appeler La légende des siècles . Comment vous en est venue l’idée, d’une folle ambition?

Eric-Emmanuel Schmitt : J’étais un jeune assistant en philosophie à l’Université, je sortais d’années d’études formatrices, passionnantes, mais dépourvues de chair et d’imagination, et j’ai senti le pouvoir extraordinaire du roman : ressusciter totalement le passé, faire revivre ce qui est aboli, nous mettre de plain-pied dans des temps révolus. J’ai immédiatement eu la vision de mon personnage, Noam, condamné à l’immortalité comme le Juif errant, qui, en nous racontant son histoire sur plusieurs millénaires, nous raconterait la nôtre.

Aviez-vous, dès la conception, la répartition entre les civilisations et le nombre de volumes (huit) ? Ou bien cela a-t-il évolué en cours d’écriture?

Quand j’ai eu l’idée, à vingt-cinq ans, je n’étais pas capable de la réaliser. Pendant des décennies, j’ai acquis ce savoir encyclopédique qui m’a permis ensuite d’opérer un découpage, de repérer les moments sensibles où l’humanité bascule d’un âge à un autre.

Jusqu’où irez-vous exactement dans le dernier volume?

Dans notre futur proche, avec un léger décalage. Dans ce qu’on peut imaginer du changement caractéristique propre à notre époque : l’angoisse écologique et « l’agrandissement » de l’homme par les technologies de pointe.

Comment réussir le subtil dosage entre romanesque et historique? Y a-t-il des périodes où vousêtes plus à l’aise que d’autres?

Il faut que les connaissances relatives à une période se soient déposées en moi depuis longtemps et aient sédimenté afin que je puisse circuler aisément dans un monde ancien, comme je circule aujourd’hui à Paris ou à San Francisco. Alors, l’imagination fleurit très naturellement. J’avoue que le moment où se passe La Lumière du Bonheur , ce V siècle av. J.-C. à Athènes, Delphes, Lesbos et Olympie fut particulièrement jouissif. J’étudie le grec et le latin depuis l’âge de 13 ans, je suis féru de philosophie, de théâtre et de sport. En fait, je suis très grec!

« Écrire ce roman a changé mon regard sur la crise »

Le volume qui paraît aujourd’hui se déroule à Athènes, dans son « âge d’or ». Quel regard portez-vous sur ce qu’on considère comme la « mère » de notre démocratie occidentale? À un moment de crise, où le modèle qu’elle a représenté est de plus en plus battu en brèche, en Europe même, comme remis en question par d’autres pays, notamment du « sud global »?

Dans le roman, lorsque je raconte les affrontements d’Athènes et de Sparte, j’ai l’impression que je parle de notre démocratie occidentale face à la Russie de Poutine, ou face à des pouvoirs intégristes religieux. Hier nous fait apparaître les structures d’aujourd’hui d’une façon presque pure. Et j’expose également les réactions des philosophes grecs face à la notion de crise : pour certains, elle est inhérente à la société, pour d’autres elle doit être supprimée. Ceux qui la pensent inhérente aux relations des groupes conçoivent la politique comme un art de gérer les tensions ; ils voient dans la crise la dynamique même de la démocratie, une crise forcément sans fin qui est à réguler. Ceux qui veulent mettre fin à la crise d’une manière définitive inventent, eux, des totalitarismes. Tel Platon… Écrire ce roman a changé mon regard sur la« crise ».

Écrire sur le passé, c’est aussi écrire pour aujourd’hui?

Écrire sur le passé, c’est écrire à partir d’aujourd’hui en s’interrogeant sur ce qui amène à notre état. Écrire sur le passé, c’est écrire pour aujourd’hui afin d’éclairer le présent, monter que ce qui est aurait pu ne pas être, montrer que ce qui est peut également disparaître, faire saisir l’historicité des choses, donc leur fragilité.

La publication de ce volume grec au moment des J.O., c’est un hasard, ou une stratégie soigneusement planifiée?

Le hasard est souvent l’habit que prend le destin. Je n’avais pas pensé une seconde que ce projet, que je porte depuis si longtemps, aurait cette coïncidence. Et je crois que le lecteur sera passionné par les deux chapitres sur l’invention du sport et la compétition olympique.

Quand paraîtra le prochain, Le s deux royaumes , consacré à la civilisation romaine et à la naissance du christianisme?

En 2025, assurément. J’ai conçu l’ensemble du cycle dès le départ, ainsi que ce qui arrive à mes personnages récurrents — Noam, Noura, Derek — mais je rédige les tomes au fur et à mesure. Il me faut une année pour chaque volume. Si je dois emprunter une métaphore sportive, je dirais que c’est un marathon à la vitesse du sprint! J’en sors à chaque fois épuisé. Puis le désir renaît… Toujours…

Les trois héros récurrents de la saga, Noam le narrateur, Noura la belle fugitive et Derek l’excessif, le sombre, tous immortels, abordent cette fois la Grèce ancienne, au V siècle avant Jésus-Christ.

Dans l’Athènes de Périclès et du Parthénon, d’Alcibiade, de Phidias, de Platon et de Socrate, le premier écrivain persécuté, condamné, contraint à la mort par le pouvoir politique pour ses idées, ses propos, sa liberté de penser. La période est belle, mais aussi troublée par des luttes fratricides entre cités grecques, surtout Athènes contre Sparte. Et il va falloir que Noam, le « métèque » (au sens étymologique : « celui qui vit avec ») s’intègre dans la société athénienne, une démocratie censitaire, exclusive et inégalitaire. Toute ressemblance avec des personnages et des problématiques contemporains n’est évidemment pas l’effet du hasard. Car « écrire sur le passé, explique Eric-Emmanuel Schmitt, c ’est écrire pour aujourd’hui a fin d ’ éclairer le présent ».

Jean-Claude Perrier

Le pèlerin - « Nous vivons toujours dans un âge grec »

Dans La lumière du bonheur, Noam, le héros immortel créé par Éric-Emmanuel Schmitt débarque en Grèce, au Ve siècle avant Jésus-Christ. Il voit naître
la démocratie, se prépare aux Jeux olympiques. Son parcours interroge le nôtre.

Après avoir exploré le néolithique, la Mésopotamie et l'Égypte, on vous sent « à la maison » dans ce tome 4 de La traversée des temps. 

Je suis comme un poisson dans l’eau au cœur de la Grèce antique qui réunit mes passions pour la philosophie et théâtre. La réflexion s’y délie du religieux, la parole prend le pas sur la force. Socrate questionne le monde en marchant, la rue est son « pensoir ». Des citoyens élisent leurs représentants. L’Acropole célèbre les dieux et l’Agora la conversation. Des comédiens montent sur les planches interroger notre condition humaine. Cette maison n’est pas seulement la mienne. Elle est la nôtre. Nous vivons toujours dans cet âge grec. Athènes nous tend un miroir. 

 

Justement, la démocratie athénienne a-t-elle à voir avec la nôtre? 

Elle se situait aux antipodes monde. A Athènes, le corps électoral ne concernait qu’un tiers de la population et laissait de côté les femmes, les métèques - dépourvus de la citoyenneté athénienne - et les esclaves. La démocratie ne visait pas à établir l’égalité entre les hommes, elle confiait à un groupe la mission de décider pour tous. Nous sommes plus vertueux aujourd’hui. 

C'est tout de même un immense pas en avant ! 

Une révolution. On passe du règne du plus fort à la loi délibérée, votée, amendée. A partir d’Athènes, gouverner c’est parler. Rien n’y est plus prisé que l’argumentation et l’éloquence. On élit les stratèges chargés de gérer les affaires publiques, politiques et militaires, on pratique aussi le tirage au sort qui reconnaît à chaque citoyen, quel qu’il soit, la vertu de décider. Nos conventions citoyennes pour le climat ou sur la fin devie se calquent sur ce modèle. 

Mais la parole peut aussi être instrumentalisée! 

Oui, car pour bien fonctionner, la démocratie requiert des démocrates, tel Périclès. Cet orateur célèbre n’intercédait pas pour lui mais pour la cité, il ne souhaitait pas répondre à l’opinion, mais la former. Mais à Athènes, comme aujourd’hui, des démagogues peuvent détourner la parole au profit de leurs intérêts individuels. Donald Trump en est un exemple. Malgré ce risque, je pense, comme Churchill, qu’on n’a toujours pas trouvé meilleur système. A tel point que les régimes autoritaires eux-mêmes se parent des apparences de la démocratie. Regardez le simulacre des élections présidentielles organisées par Vladimir Poutine. 

Sparte, régie par une oligarchie, accuse Athènes de décadence... 

Sparte l’autoritaire prétend qu’Athènes la démocrate est fragile, efféminée, corrompue par le confort et les jeux. Elle croit qu’un peuple prospère ne votera pas la guerre. Périclès convainc les Athéniens d’affronter Sparte pour préserver leurs valeurs. Comment ne pas penser à ce qui se joue entre l’Europe et la Russie aujourd’hui ? 

L'enseignement de la philosophie suffit-il pour vivre ensemble? 

C’est le point faible de Socrate. En posant la question du pourquoi, il apprend à son interlocuteur à raisonner. Il fabrique un citoyen mais néglige les passions que la tragédie explore. Cet art grec qui met en scène la subtilité de la pensée représente le sommet de l’intelligence. On n’y joue pas le bien contre le mal. Antigone souhaite un enterrement pour son frère que Créon lui refuse car il doit punir celui qui a désobéi aux lois. Raison du cœur contre raison d’État, la tragédie donne à reconnaître ces conflits insolubles. 

Comment faire face au tragique? 

Notre siècle possède, comme Athènes, ses vendeurs de drame. Ses démagogues qui prétendent que construire des murs arrêtera les migrants, ses intégristes qui, dans le conflit entre la Palestine et Israël, veulent qu’un des deux États détruise l’autre. Cette vision binaire du monde l’ensanglante davantage que la recherche de solutions complexes. 

Paris accueille les Jeux olympiques, quel fut leur esprit initial ?

En 776 avant J.-C., Athènes décide d’instaurer des jeux pour sublimer, dans le sport, les tensions entre cités enne- mies. Le temps d’une trêve, on crée une communauté plus vaste que les Etats en guerre. À Olympie, tous les quatre ans, on dépose les armes le temps de s’affronter, dans une concurrence noble qui dépasse l’agressivité. Comme les Athéniens, je pense qu’il faut placer l’homme au-dessus des conflits. Je m’interroge : notre Comité olympique est-il bien inspiré d’exclure les athlètes russes de la cérémonie d’ouverture ? L’esprit de concorde animant la compétition doit transcender ce qui nous oppose. 

 

Catherine Lalanne

Le pèlerin - « Jubilatoire et solaire. À lire sans tarder ! »

Un récit édifiant et prenant.

Noam qui a traversé le néolithique, la Mésopotamie et l'Égypte ancienne découvre le monde grec, la philosophie, la démocratie et la tragédie avec les yeux d'un métèque. Comment un homme libre peut-il acquérir la citoyenneté athénienne et concourir aux Jeux olympiques ? Jubilatoire et solaire, La lumière du bonheur, tome 4 de La traversée des temps, porte bien son nom. À lire sans tarder pour se souvenir d'où nous venons et éclairer les temps tourmentés que nous traversons, à l'aune des promesses de cette civilisation.

 

 

Catherine Lalanne

Ouest France - « Éric-Emmanuel Schmitt, l’écrivain qui traverse le temps »

Dans son nouveau livre La lumière du bonheur, Éric-Emmanuel Schmitt concentre, en 600 pages, la quintessence de la Grèce antique. Une belle occasion de parler démocratie, Jeux olympiques et tragédie.

La piste d’Olympie, en Grèce, est un simple terrain sablonneux. C’est sur ces 192 m qu’ont vu le jour les premiers Jeux olympiques, il y a 3 000 ans. Et quand des ados en short s’élancent spontanément ce jour d’avril 2024 pour faire la course, Éric-Emmanuel Schmitt sourit. Les cris d’encouragement fusent et ça l’amuse. « Ici, c’est le premier lieu fédérateur du monde. Les participants et les spectateurs arrivaient de partout. Les JO ont été un événement culturel pendant 900 ans avant de disparaître et de renaître », témoigne l’écrivain.

Arpenter ce site pour parler de La lumière du bonheur, son nouveau livre, en librairie ce 17 avril, est une façon de traverser le temps. L’auteur de multiples romans et pièces de théâtre à succès suit un fil rouge depuis 2021. Raconter l’histoire de l’humanité de façon ludique. Une sorte d’encyclopédie pour les nuls sous forme d’une série haletante.

« La civilisation de la parole »

Cette fois, Noam, son héros immortel, débarque à Athènes et découvre la naissance d’un système qui lui paraît incroyable, la démocratie. « On doit beaucoup à la Grèce antique », rappelle Éric-Emmanuel Schmitt en déambulant au milieu des colonnes où la flamme vient d’être rallumée. « C’est la civilisation de la parole. » La place au débat, aux experts comme aux simples habitants qui échangent leurs points de vue et sont prêts à se remettre en question en entendant l’autre.

Un état d’esprit qui passionne cet agrégé de philosophie, formé à l’École normale supérieure, membre de l’Académie Goncourt. « Rechercher l’harmonie, avoir le corps et la tête à l’unisson, liste l’intellectuel. Plutôt que la puissance, on prône le courage. Cela veut dire n’être ni trop prudent, ni tête brûlée. » Une façon d’être et de vivre qui parait bien loin de nos crises actuelles.

 On avance mais est-ce qu’on progresse ? C’est toute la question qui nourrit mon œuvre  , souffle Éric-Emmanuel Schmitt. Il est impressionné par Eschyle, Euripide et tous ces auteurs qui ont su mettre des mots sur les maux. « Pour décrire la complexité du monde, les Grecs ont inventé la tragédie. Le drame se met en scène pour montrer à tous qu’il n’y a pas de solution simple. »

« Un jeu de miroirs entre les époques »

C’est devenu la base de toute la littérature, le théâtre, le cinéma. La fiction est devenue une porte d’entrée pour parler du réel au public. « On en a tellement besoin pour comprendre ce qui se passe autour de nous. » C’était vrai pour Athènes et Sparte à feu et à sang quand ces pièces étaient écrites. « Et cela l’est aujourd’hui pour Israël et la Palestine. » 

Le Bruxellois, traduit dans près de cinquante langues, est étudié dans les écoles du monde entier, joué dans des théâtres d’Europe comme d’Amérique. C’est l’une des voix francophones contemporaines qui peut se prévaloir d’une audience internationale. Il sait qu’il peut essaimer la bonne parole.

Cet homme lettré met beaucoup d’humour et de tendresse dans ses romans comme dans la vie. Avec cette série, il a trouvé une nouvelle façon de tracer des ponts.  Il y a évidemment un jeu de miroirs entre les époques. L’histoire, c’est toujours une fenêtre sur le passé qui éclaire le présent. 

Le sexagénaire n’aime pas trop la nostalgie mais il ne peut s’empêcher de rappeler l’esprit qui animait les premiers athlètes. «  Lors des premiers Jeux olympiques, les guerres s’arrêtent. On fait la trêve et on s’affronte dans le symbolique, dans la joie. Loin du culte de la performance, c’est juste le meilleur qui gagne ! »

« Le corps n’est ni méprisé ni exalté »

La victoire est belle parce qu’elle est galvanisante et transporte la foule.  C’est à Olympie que le sport commence à conquérir l’affection du peuple  , relève l’écrivain. Dans son livre, Noam est un métèque, un étranger. Officiellement, il n’a pas le droit de participer aux JO. Mais son protecteur comprend vite que s’il est bon, tous les citoyens l’acclameront et feront de lui l’un des leurs, sans se poser de question. Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé… est voulue.

En retraçant ainsi les grands temps forts de l’humanité, Éric-Emmanuel Schmit met en lumière des problématiques vieilles comme le monde. Son héros est plus fort que l’intelligence artificielle, il s’étonne de ce qu’il a sous les yeux.  Aujourd’hui, nous sommes menacés de régression sur tant de choses. C’est rafraîchissant d’avoir de la curiosité, de la bienveillance et pas des avis arrêtés sur tout. 

Un dernier bon point pour l’antique Grèce ?  Le corps n’est ni méprisé, ni exalté. La nudité n’est pas sexualisée. Dans le prochain tome, je raconterai comment Rome et le christianisme vont tout changer. 

L’écrivain a cette culture sédimentée en lui. « J’ai toujours besoin d’une base solide pour imaginer ensuite librement. Et j’aime aussi me nourrir de ce que j’ai sous les yeux. » Éric-Emmanuel Schmitt n’a pas besoin de regarder bien loin. Face au temple de Zeus, les touristes enchaînent les autoportraits avec leur téléphone en se prenant pour des dieux vivants. Narcisse aussi était grec.

Karin Cherloneix

La Vie - « L’olympisme des Grecs portait haut l’idéal de la trêve »

À l’ouest du Péloponnèse, c’est dans la douce vallée du fleuve Alphée, couverte d’oliviers, que s’étend le site d’Olympie où les premiers Jeux virent le jour en 776 avant J.-C. Éric-Emmanuel Schmitt y est venu la première fois quand il avait 15 ans. Et pour l’écriture de son roman, il est retourné en imagination dans une Olympie vivante, emplie par le bruit des foules, les odeurs de graisse et les fumées. Il considère donc qu’il est ici pour… la troisième fois, au milieu des ruines et dans une lumière fabuleuse. Des colonnes de marbre surgissent au milieu des pins et des cyprès dans la splendeur du printemps méditerranéen, avivée par le rose des arbres de Judée en fleur. Une large voie antique divise le site en deux. À droite, le gymnase où s’entraînaient durant un mois les athlètes dans leur plus simple appareil – gumnos signifie « nu » en grec –, tout près des colonnes de la palestre qui abritait les lutteurs.

À gauche, les restes du temple de Zeus, auquel le culte a été rendu pendant les neuf siècles qu’ont duré les jeux antiques, puisque l’endroit était aussi un grand sanctuaire dédié au plus puissant des dieux grecs. Et au-delà, le stade olympique, dont il reste l’arche du tunnel par lequel les spectateurs entraient, pour déboucher au bord du terrain de 200 mètres (soit 600 pas du héros Héraclès) où les athlètes jouaient des coudes : une esplanade toujours très animée aujourd’hui, car des professeurs du monde entier y font courir leurs classes, dans les clameurs des jeunes spectateurs assemblés tout autour.

C’est dans les ruines du temple d’Héra, qui jouxte celui de Zeus, que la flamme olympique va être allumée comme à l’habitude. Même si, soyons clairs, ce rituel n’a jamais eu lieu dans la Grèce antique ! C’est l’universitaire allemand Carl Diem qui a fait adopter le protocole du relais de la flamme en 1934, mis en place pour la première fois lors des Jeux de Berlin en 1936 – sous le nazisme donc, ce qui fera naître plus tard des polémiques, qu’on a aujourd’hui oubliées…

Parmi les cinq lieux où vous faites évoluer votre héros grec, pourquoi avoir choisi Olympie ?

Parce que les Grecs ont inventé le sport, qui était l’apanage du citoyen, de l’homme aisé, celui qui avait du temps à consacrer à des loisirs. Le sport était un marqueur de réussite sociale. Et, contrairement à ce qu’ont dit certains historiens, le sport n’était pas une préparation à la guerre, pas à Athènes en tous les cas. Au début, les athlètes en compétition étaient habillés. La petite histoire veut que l’un d’eux soit tombé en se prenant les pieds dans son pagne, qu’on enleva donc ensuite pour éviter les accidents. Une autre version dit que le coureur le plus rapide s’étant mis nu, les autres l’ont imité pour gagner eux aussi. Ces légendes circulaient déjà au Ve siècle, la période de mon roman. Il ne faut pas oublier que l’histoire des JO se déroule sur neuf siècles. On s’enduisait le corps d’huile pour le protéger et le faire bronzer au grand air, signe d’élévation sociale – ce qui très contemporain, en fait.

La pratique sportive grecque offrait un corps harmonieux, et non pas puissant. Il s’agissait d’afficher un physique pacifié. La virilité, c’était l’harmonie. On le constate sur les statues qui expriment la sérénité et l’équilibre. Elles évitent les sentiments exacerbés pour dégager une placidité, une sorte de bienveillance. La nudité n’était pas sexuelle, elle était un habit. Le corps disait à la fois l’harmonie physique et spirituelle. Ce lien était essentiel chez les Grecs, à travers l’expression que je fais répéter à Socrate dans mon récit : beau et sage (« kalos kagathos »). Mais il y avait par conséquent une condamnation de la difformité et de l’infirmité – ce qui n’existait pas du tout pour les Égyptiens, chez qui les nains étaient représentés comme des êtres jolis. Tandis que chez les Grecs, le canon de beauté va finir par provoquer de l’exclusion. Le barbare au corps gras et non musclé sera considéré comme un sous-homme.

Votre héros, qui fait partie des métèques, passe par le sport pour devenir citoyen à part entière…

Seuls les citoyens avaient le droit de concourir aux JO. Mais d’autres parvenaient parfois à s’y intégrer, en effet. Il a existé des cas de citoyenneté accordée pour jouir de l’éclat qu’apportait un homme vaillant capable de possibles exploits. Aujourd’hui encore, le procédé n’est pas rare : des footballeurs et des sportifs de haut niveau acquièrent une nationalité parce qu’ils peuvent offrir leurs records à un pays, comme ce fut le cas pour les cités grecques. Reste que, de manière générale, la citoyenneté n’était absolument pas liée au mérite mais héritée de père en fils. L’histoire d’Athènes va néanmoins ouvrir la citoyenneté (puis la fermer) au gré des aléas de l’Histoire. Pendant les guerres, on élargit la citoyenneté afin de recruter des soldats. Car si le citoyen est un être privilégié, c’est aussi lui qui se bat. La cité lui donne beaucoup, et il lui doit quelque chose en retour.

Quelle était la spécificité des Jeux olympiques par rapport aux autres jeux dont raffolaient les Grecs ?

Face aux jeux néméens, pythiques, Isthmiques, seuls les Jeux olympiques incluaient uniquement le sport. Les autres alignaient des concours de multiples disciplines, comme la poésie, l’éloquence, la peinture. Les jeux chrématistiques représentaient quant à eux l’ordinaire des athlètes, au cours desquels ils gagnaient de l’argent. À Olympie, seule comptait la gloire, et c’était paradoxalement les jeux les plus prestigieux de toute l’Antiquité. Alors bien sûr, dans le sillage des athlètes, des orateurs venaient faire démonstration de leurs talents, les historiens raconter des histoires, les musiciens jouer. Il y avait un afflux énorme : 40 000 personnes débarquaient soudain dans un lieu où ne résidaient le reste de l’année que quelques prêtres et des bergers avec leurs chèvres. Un extraordinaire campement s’installait, un univers de démonstration, une folie. Les athlètes et les entraîneurs commençaient par faire des prières à Zeus. Il y avait quelque chose d’à la fois prudent et désespéré dans la prière des Grecs, une façon de s’abandonner à une sorte de fatalisme heureux – tout ne dépend pas de nous. Ce peuple a fini par inventer plus tard le stoïcisme… On fait sa tâche d’homme, y compris en priant, mais de toute façon c’est Zeus qui décide.

Olympie est un lieu où l’on sent une forme de spiritualité qui a quelque chose à la fois d’imposant et d’apaisé. Très différent de Delphes, doux refuge sous le Parnasse. Tandis qu’il y a dans la rectitude d’Olympie une impression de puissance. Ce n’est pas un hasard si le sport le plus populaire était la course de char, dont va user un Alcibiade pour gagner de l’éclat politique. Pour le reste, le pentathlon était la discipline reine, compte tenu des qualités physiques antithétiques dont on devait faire preuve. Quant au saut en longueur, il a fallu de récents travaux archéologiques pour découvrir qu’il s’agissait d’un sport doté d’haltères, dont le balancement donnait un élan pour atteindre les 15 mètres. Les archéologues ont aussi découvert que chaque lieu de grandes épreuves sportives avait ses propres critères, autant pour le matériel – le disque n’avait pas le même poids à Olympie ou à Némée – que pour les distances à parcourir, les dimensions des stades différaient de 150 à 180 mètres…

Mais en ce qui concerne les valeurs partagées, les JO permettaient-ils d’avoir une certaine unité ?

Il y avait vraiment une volonté de respect du règlement et du serment que faisaient à Zeus les juges et les athlètes à leur arrivée à Olympie. Un tricheur était un paria absolu, un juge qui acceptait d’être soudoyé, un traître. Un idéal d’honnêteté était affirmé, ainsi qu’un idéal de courage et d’opiniâtreté. L’athlète pouvait déclarer forfait pendant la préparation. En revanche, abandonner durant les épreuves, c’était le déshonneur.

Ces jeux offraient l’occasion de partager une culture : des comédiens vendaient leurs services, des poètes récitaient du Homère et du Hésiode. D’un coup, une culture commune liait les cités grecques, lesquelles avaient aussi des façons diverses de prononcer leur langue et usaient même quelquefois d’un vocabulaire différent. Tout le monde ne parlait pas l’attique, c’est-à-dire la langue d’Athènes. Beaucoup parlaient le dorien, le milésien, et d’autres idiomes. Le rêve panhellénique vivait à ce moment précis, avec des colons grecs qui débarquaient même de territoires non grecs. Tout le monde était réuni pour un mois de préparation des Jeux, et ensuite une semaine d’épreuves.

Puis on rentrait chez soi juste auréolé de sa couronne d’olivier ?

La gloire est l’une des notions les plus importantes de la Grèce. L’homme a conscience qu’il est éphémère et que seule la gloire peut lui donner l’immortalité : celle d’être mort au combat, et celle d’avoir vaincu aux Jeux – d’un côté Achille, de l’autre Milon de Crotone, dont on voit des statues à Olympie, qui était un grand lutteur. Même s’il a été finalement victime de l’hubris – mot grec qui signifie la démesure. Il était le plus fort, mais, parce qu’il était trop persuadé de l’être, il en est mort. La fable raconte qu’il a voulu éventrer un olivier, il est resté coincé dedans, et les animaux sauvages l’ont dévoré. Moralité, on a beau être un Hercule, il ne faut pas dépasser la mesure.

Toujours cet idéal grec, qui va être ensuite le thème profond de la philosophie d’Aristote : le juste milieu. Par exemple, le courage est le juste milieu entre la témérité et la lâcheté. Le téméraire est celui qui est inconscient devant le danger, le lâche celui qui le fuit. Le courageux est l’homme qui a toute conscience du danger et qui l’affronte. Cet idéal de tempérance, théorisé au IVe siècle par Aristote, nous dit quelque chose d’important. On peut en prendre de la graine aujourd’hui.

Pourquoi l’empereur chrétien Théodose a-t-il interdit les Jeux olympiques en 394 après J.-C. ?

En fait, Théodose voulait en finir avec les cultes païens. Et comme les Jeux olympiques étaient une imbrication de religieux païen polythéiste et de sport, il a tué le sport en tuant le polythéisme. On va alors entrer dans des siècles de mépris et de condamnation du corps, manifesté dans la philosophie platonicienne et repris par une partie des Pères de l’Église. Cette hostilité envers la chair est à mes yeux un aspect assez triste du christianisme – cela n’était pas écrit, c’est une interprétation. On aurait pu garder le sport, tout en effaçant le polythéisme. Mais le malentendu a fait que l’un a disparu avec l’autre. Et on a donc assisté aussi à la fin de cet idéal de trêve que portaient les Jeux olympiques antiques. Même quand on est en guerre, on peut respecter la trêve – car la Grèce était régulièrement en guerre : c’est en fait une grande leçon de philosophie politique que cet esprit de concorde et de paix. Ainsi, j’estime que même les sportifs russes devraient pouvoir venir à Paris, je ne comprends pas le refus du Comité olympique actuel. À la lumière de l’Histoire, la trêve doit exister.

Olympie est un lieu où l’on sent une forme de spiritualité qui a quelque chose à la fois d’imposant et d’apaisé. Très différent de Delphes, doux refuge sous le Parnasse. Tandis qu’il y a dans la rectitude d’Olympie une impression de puissance. Ce n’est pas un hasard si le sport le plus populaire était la course de char, dont va user un Alcibiade pour gagner de l’éclat politique. Pour le reste, le pentathlon était la discipline reine, compte tenu des qualités physiques antithétiques dont on devait faire preuve. Quant au saut en longueur, il a fallu de récents travaux archéologiques pour découvrir qu’il s’agissait d’un sport doté d’haltères, dont le balancement donnait un élan pour atteindre les 15 mètres. Les archéologues ont aussi découvert que chaque lieu de grandes épreuves sportives avait ses propres critères, autant pour le matériel – le disque n’avait pas le même poids à Olympie ou à Némée – que pour les distances à parcourir, les dimensions des stades différaient de 150 à 180 mètres…

Mais en ce qui concerne les valeurs partagées, les JO permettaient-ils d’avoir une certaine unité ?

Il y avait vraiment une volonté de respect du règlement et du serment que faisaient à Zeus les juges et les athlètes à leur arrivée à Olympie. Un tricheur était un paria absolu, un juge qui acceptait d’être soudoyé, un traître. Un idéal d’honnêteté était affirmé, ainsi qu’un idéal de courage et d’opiniâtreté. L’athlète pouvait déclarer forfait pendant la préparation. En revanche, abandonner durant les épreuves, c’était le déshonneur.

Ces jeux offraient l’occasion de partager une culture : des comédiens vendaient leurs services, des poètes récitaient du Homère et du Hésiode. D’un coup, une culture commune liait les cités grecques, lesquelles avaient aussi des façons diverses de prononcer leur langue et usaient même quelquefois d’un vocabulaire différent. Tout le monde ne parlait pas l’attique, c’est-à-dire la langue d’Athènes. Beaucoup parlaient le dorien, le milésien, et d’autres idiomes. Le rêve panhellénique vivait à ce moment précis, avec des colons grecs qui débarquaient même de territoires non grecs. Tout le monde était réuni pour un mois de préparation des Jeux, et ensuite une semaine d’épreuves.

Puis on rentrait chez soi juste auréolé de sa couronne d’olivier ?

La gloire est l’une des notions les plus importantes de la Grèce. L’homme a conscience qu’il est éphémère et que seule la gloire peut lui donner l’immortalité : celle d’être mort au combat, et celle d’avoir vaincu aux Jeux – d’un côté Achille, de l’autre Milon de Crotone, dont on voit des statues à Olympie, qui était un grand lutteur. Même s’il a été finalement victime de l’hubris – mot grec qui signifie la démesure. Il était le plus fort, mais, parce qu’il était trop persuadé de l’être, il en est mort. La fable raconte qu’il a voulu éventrer un olivier, il est resté coincé dedans, et les animaux sauvages l’ont dévoré. Moralité, on a beau être un Hercule, il ne faut pas dépasser la mesure.

Toujours cet idéal grec, qui va être ensuite le thème profond de la philosophie d’Aristote : le juste milieu. Par exemple, le courage est le juste milieu entre la témérité et la lâcheté. Le téméraire est celui qui est inconscient devant le danger, le lâche celui qui le fuit. Le courageux est l’homme qui a toute conscience du danger et qui l’affronte. Cet idéal de tempérance, théorisé au IVe siècle par Aristote, nous dit quelque chose d’important. On peut en prendre de la graine aujourd’hui.

Pourquoi l’empereur chrétien Théodose a-t-il interdit les Jeux olympiques en 394 après J.-C. ?

En fait, Théodose voulait en finir avec les cultes païens. Et comme les Jeux olympiques étaient une imbrication de religieux païen polythéiste et de sport, il a tué le sport en tuant le polythéisme. On va alors entrer dans des siècles de mépris et de condamnation du corps, manifesté dans la philosophie platonicienne et repris par une partie des Pères de l’Église. Cette hostilité envers la chair est à mes yeux un aspect assez triste du christianisme – cela n’était pas écrit, c’est une interprétation. On aurait pu garder le sport, tout en effaçant le polythéisme. Mais le malentendu a fait que l’un a disparu avec l’autre. Et on a donc assisté aussi à la fin de cet idéal de trêve que portaient les Jeux olympiques antiques. Même quand on est en guerre, on peut respecter la trêve – car la Grèce était régulièrement en guerre : c’est en fait une grande leçon de philosophie politique que cet esprit de concorde et de paix. Ainsi, j’estime que même les sportifs russes devraient pouvoir venir à Paris, je ne comprends pas le refus du Comité olympique actuel. À la lumière de l’Histoire, la trêve doit exister.

Pour revenir au IIIe siècle après J.-C., c’est dommage qu’on ait jeté le bébé avec l’eau du bain, et lâché un événement singulier qui fédérait tout le bassin méditerranéen. Les jeux sublimaient les rancœurs entre les cités – une sublimation vraiment freudienne : on expulsait la violence pure en la plaçant dans le symbolique, le jeu et le rituel. Il faut se rendre compte que nous sommes tout petits aujourd’hui avec nos 120 ans de Jeux olympiques reconstitués, par rapport aux 900 ans de l’Antiquité. Je reste impressionné : quel autre événement culturel a duré presque un millénaire, pour renaître 1 500 ans après ? La flamme est haute !



Marie Chaudey

Lire Magazine - « Un des plus grands conteurs de sa génération. »

Il y a trois ans, lorsqu'il inaugurait sa Traversée des temps, nombreux sont ceux qui avaient pris Éric-Emmanuel Schmitt pour un fou ou, pire, un insolent. 

Huit tomes, des milliers de pages, un récit qui s'étale sur des millénaires et parcourt plusieurs civilisations avec une ambition démesurée:raconter l'histoire
de l’humanité. N'était-ce pas là un pari insensé? À mi-parcours, les doutes se sont envolés et la méfiance a laissé place à l’admiration face à un des plus grands conteurs de sa génération. Après la Mésopotamie et l'Égypte ancienne. Noam, son héros sans âge, poursuit son voyage dans les couloirs du temps et découvre la Grèce antique, ses croyances et ses doutes philosophiques, son amour pour l'art et la politique. Une plongée érudite et joyeuse aux sources de notre civilisation.

Léonard Desbrières

La Libre Belgique (Belgique) - « “La lumière du bonheur”, quatrième tome de “La traversée du temps”, tient toutes ses promesses. »

Quand il a écrit le premier mot de son impressionnante épopée, Eric-Emmanuel Schmitt l’assure, il en connaissait déjà le dernier. Mais il est 

hors de question, bien entendu, qu’il nous le donne, ce mot de la fin. Le destin de l’immortel Noam, qui a entrepris en Mésopotamie sa traversée du temps, reste entre les mains de l’auteur. Deux mille quatre cents mots plus tard, à mi-chemin de son voyage littéraire, il ne se lasse pas de revisiter l’Histoire, d’en souligner les bégaiements et de provoquer d’improbables rencontres. 

En Grèce, où se déroule La Lumière du bonheur, Eric-Emmanuel Schmitt n’a su où donner de la tête tant les “célébrités” croisées sur l’Agora sont nombreuses. Socrate, Platon, Hippocrate, Sappho, Périclès : Noam fera avec chacun d’entre eux un éclairant bout de chemin. “J’étais à la maison, au sens où j’ai toujours eu une passion pour la Grèce”, sourit l’inépuisable écrivain. “Depuis que, petit, on m’avait donné à lire l’Odyssée et les aventures d’Ulysse. J’ai fait du grec dès l’âge de 13 ans, puis à haut niveau jusqu’à Normal Sup en lettres classiques. Ensuite, j’ai continué en philo. Donc encore la Grèce. Et puis, je suis un passionné de théâtre, donc la Grèce est là dans mon amour pour les auteurs tragiques. Donc voilà, je suis grec !” 

Le moment de génie grec 

Pour autant, il n’en oublie pas que ses lecteurs, eux, qui ne possèdent pas (tous) ses connaissances encyclopédiques, lisent aussi pour s’évader. Mais dans l’esprit de l’auteur, savoir et divertissement n’ont jamais été antagonistes. “J’ai choisi d’articuler le livre autour d’Athènes et de Socrate. En me disant qu’à travers ces thèmes, j’allais raconter le génie grec, son miracle”, dit-il. “Cette irruption dans l’humanité de la philosophie, d’un discours délié du religieux, de la démocratie – une nouveauté inouïe qui va disparaître –, du théâtre et du sport. Beaucoup de ces choses vont être tuées par la suite. Le christianisme sonnera la fin du sport et du théâtre et la démocratie sera mise à mal par les tyrans successifs, et qui sont toujours là. La démocratie athénienne, c’est une période éblouissante. Il y a un moment de génie grec.” 

Au travers du personnage de Noam, Eric-Em- manuel Schmitt a également pris un plaisir indicible à revenir à ses premières fois. “Et de les faire vivre au lecteur”, souligne-t-il encore. “Je crois que ça doit carrément être une méthode de vie. Ne jamais céder aux sentiments de l’usure et du déjà-vu, de l’illusion de connaître et se sentir toujours dans une première fois. C’est ce que j’écrivais dans Oscar et la Dame Rose: “vivre chaque jour comme si c’était la première fois”. Exactement le contraire de ce que dit Tolstoï, “vivre chaque jour comme si c’était le dernier”. Moi, je n’ai pas un rapport nostalgique au monde. J’ai un rapport d’accueil et d’éveil.” 

Plusieurs Homère 

Au fil des pages, l’écrivain remet également quelques pendules historiques à l’heure. Ainsi, Sappho met-elle en doute la paternité d’Homère sur L’Iliade et L’odyssée. “Plusieurs historiens pensent qu’il y a eu une “fabrique”, des aèdes, donc des poètes récitants errants, qui ont constitué tout ce corps de récits. Et d’ailleurs, si des formules reviennent, ce n’est pas parce que c’est le même auteur, c’est plutôt parce qu’il y en a plusieurs. Par ailleurs, il y a plusieurs villes qui se réclament d’être la ville de naissance d’Homère.” 

Quant à Sappho, personnage méconnu et longtemps oublié, Eric-Emmanuel Schmitt en fait, rien moins, que le premier écrivain. “C’est le premier écrivain qui dit “je”, et qui analyse des sensations comme le désarroi amoureux, l’envie d’aimer, etc. En descendant dans le fond d’elle-même, elle arrive à l’universel. Donc, oui, je pense profondément que le premier écrivain était une écrivaine.” 

Isabelle Monnart

Midi Libre - « Les Grecs ont inventé le sport et tous les fondamentaux de notre société. »

L’auteur et dramaturge, membre de l’académie Goncourt, fils d'une ancienne championne de sprint, est un passionné d’athlétisme. Son nouveau roman, La Lumière du bonheur (Albin Michel), met en scène son héros aux Jeux d’Olympie au Ve siècle avant JC. Une époque fondatrice, selon lui, pour notre monde moderne.

En quoi ce Ve siècle avant JC est-il décisif pour l’humanité ?

C’est incroyable. Nous sommes en fait tous grecs et de plus en plus. Ils ont créé la démocratie, la philosophie, le sport, le théâtre. Et même s’il y a eu des éclipses ensuite, nous vivons dans des fondamentaux qui ont été instaurés par les Grecs de cette époque. C’est une époque fondatrice pour notre modernité. Tout ce qui travaille notre monde contemporain est là, comme une espèce de précipité chimique pur au Ve siècle avant JC. En tant que dramaturge, je connais très bien ce qu’il nous reste du théâtre grec. En tant que normalien et directeur en philosophie j’ai beaucoup travaillé les philosophes de cette époque. Pour écrire ce tome, ma difficulté, c’était de faire un choix…

Une époque qui coïncide donc aussi avec la création des JO…

C’est un phénomène culturel extraordinaire car il a duré mille ans. Il n’y a pas d’équivalent de festival ou de phénomène culturel qui ait duré aussi longtemps avant de reprendre 1 400 ans plus tard. Ces Jeux véhiculaient l’idée d’un monde grec en paix malgré les conflits entre les cités. Cette idée de concorde et de dépassement des différences était politiquement et philosophiquement dynamisante.

Pourquoi, contrairement à nos Jeux modernes, ceux d’Olympie excluaient-ils beaucoup de monde ?

La démocratie athénienne excluait déjà les femmes, les métèques et les esclaves. Un groupe d’hommes, de mâles blancs, avait créé la démocratie pour refuser les tyrans. Le groupe créait l’égalité en son sein mais ne créait pas l’égalité en général. Il n’y avait, pas dans le monde grec, l’idée qu’un individu a des droits. Donc les Jeux excluaient les individus non grecs et les femmes, y compris dans le public. Sauf les femmes non mariées qui pouvaient à distance assister aux Jeux.

Les athlètes et les sportifs pratiquaient nus. Pourquoi ce culte du corps poussé à l’extrême ?

Les Grecs ont inventé le sport en tant qu’activité pratiquée pour elle-même, indépendamment du besoin et de l’utilité. Le culte de l’harmonie du corps est un privilège social. On est sorti de la course à la survie pour gagner son pain et on a des loisirs. Ça s’accompagne de ce culte de l’harmonie. On cherche un corps harmonieux et serein, qui montre une maîtrise de l’âme. Nous ne sommes pas dans la recherche de la surpuissance et des muscles saillants mais bien dans l’idéal grec des statues : un corps mesuré, tempéré, qui n’est pas érotisé et dégage une impression de sérénité.

Vous écrivez qu’Olympie était excessive en tout…

C’était Woostock ! Olympie n’était pas une ville mais un sanctuaire. Il n’y avait que des temples, quelques prêtres, des bergers avec leurs troupeaux. Tout à coup, tous les quatre ans, débarquaient 40 000 personnes dans des lieux sans structures d’hébergement, où on manquait d’eau. C’était la fête, sur fond de sacrifices, mais tout était excessif.

Que ressentez-vous quand vous y allez ?

J’y suis retourné il y a moins d’un mois et je me suis dit, en songeant à mon roman, qu’est-ce que ça a changé… Par le pouvoir du roman j’avais reconstruit Olympie intacte avec tous ses temples, la statue chryséléphantine de Zeus et là je me retrouvais dans des ruines et un univers vidé de son public. Ce qui n’a pas changé c’est la lumière sereine d’Olympie qu’on associe à Zeus parce qu’elle recèle quelque chose de pure et d’équilibré.

Les Jeux d’aujourd’hui se veulent dépositaires de ceux de l’antiquité. Ont-ils encore quelque chose en commun ?

Il y a cette idée du transnationalisme. Tout à coup, des gens s’affrontent en représentant leur pays ou leur cité et on va applaudir le vainqueur. On va reconnaître la performance humaine. Il y a la prégnance d’un humanisme. Quand je regarde les JO, je peux pleurer en entendant l’hymne national du Niger parce que l’athlète qui monte sur le podium ressent une grande émotion et j’imagine tous les sacrifices qu’il y a derrière. Il reste aussi l’idée de la trêve même si les Russes l’ont remise deux fois en question. En 2014, ils avaient déjà envahi la Crimée et en 2022 l’Ukraine pendant les JO d’hiver. Dans l’antiquité, Sparte avait aussi été radiée des Jeux plusieurs fois pour ne pas avoir respecté la trêve. Elle a un sens. Elle signifie qu’on peut mettre une instance au-dessus des conflits. C’est une idée qui permet d’échapper à une sauvagerie totale.

Est-ce que vous vibrez pour le sport ?

Je vibre beaucoup pour l’athlétisme, essence des Jeux. Ma mère a été championne de France de sprint, je suis né dans la passion du sport. J’avais été invité par France Télévision en tant que consultant à Rio et Je vais suivre avec grand plaisir ces Jeux de Paris.

Les liens entre JO et culture sont-ils naturels ?

Quand Coubertin a rétabli les JO, il a aussi voulu rétablir des concours littéraires et artistiques ce qui n’était pas du tout dans l’ADN des JO anciens, qui n’étaient que sportifs. Les Jeux néméens, eux, comprenaient, rhétorique, poésie, sculpture… Ces concours ne flattaient que l’académisme. Il faut garder leur spécificité sportive aux JO mais ils disent quelque chose de notre société, ils sont un évènement culturel à eux tous seuls dans la mesure où ils se déplacent et deviennent source de découverte, c’est une dimension importante.

Richard Gougis

Point de vue - « Le flâneur séculair »

Après la fin du néolithique et le déluge (Paradis perdus), Babel et la Mésopotamie (La Porte du ciel), L’Égypte des pharaons et Moïse (Soleil sombre), c’est en Grèce au Ve siècle av. J.-C. que l’auteur de La Traversée des temps propulse Noam, son héros immortel. Nous avons suivi ses pas à l’ombre d’Olympie et de l’Acropole.

"Ici, je me sens comme à la maison", lance Éric-Emmanuel Schmitt. Ici, c’est à la fois une ère et une époque – le siècle de Périclès –, un pays – la Grèce –, Olympie, puis Athènes. En compagnie de ce membre chaleureux de l’académie Goncourt, on ressent sans peine la lumière intense des dieux et l’ombre des philosophes. Un voyage à remonter le temps qui est au cœur de sa fresque romanesque et métaphysique, entamée en 2021, et dont le romancier et dramaturge avoue qu’il la porte en lui depuis longtemps. "Platon disait que la première vertu du philosophe est de s’étonner, voire de s’émerveiller, devant ce qui est, mais aurait pu ne pas être." Cet étonnement, on en suit le fil avec Noam, son héros immortel qui voyage à travers les siècles. Avec lui, chaque vestige s’anime, la démocratie semble née d’hier, si peu évidente à instaurer ; et à chaque coin de rue, on croise Aristophane, Euripide, Socrate, Hippocrate ou Platon. « Cette période est notre maison, mais elle interroge aussi nos différences, développe le romancier-philosophe. Nous devons à cette civilisation antique notre modernité, elle invente le règne du logos, de la parole et de la raison, pour combattre la violence et résister au chaos du monde ; elle affranchit la pensée de la religion, invente la science, la philosophie et l’esprit critique. Elle imagine aussi le théâtre, qui est la manière la plus parfaite de comprendre le monde en le fictionnalisant. La beauté surgit alors et, avec elle, les beaux-arts, délestés de toute fonction divinatoire ou sacrée. » 

Olympie, comme l’Acropole à Athènes, Éric-Emmanuel Schmitt dit en jouir autant avec ses souvenirs qu’avec ses lectures et son imagination d’écrivain. « J’arrive ici avec ma mémoire, mais aussi avec une sorte de mémoire de l’humanité puisée au fil des livres et des textes. Je la peuple de fantômes, pour qu’elle bruisse d’échos du passé. » Sa première fois à Olympie remonte à ses 15 ans. « Venir à Olympie, c’est retrouver l’esprit de la trêve. C’est une grande leçon philosophique que cet esprit de paix et de concorde. » Et de rappeler, à quelques semaines de nos Jeux olympiques parisiens, qu’à l’origine, en 776 av. J.-C. et jusqu’en 393 apr. J.-C., soit pendant 1169 années, les Jeux avaient lieu tous les quatre ans, lors de la deuxième pleine lune après le solstice d’été, et qu’on y honorait Zeus. Ils incarnaient alors un idéal d’opiniâtreté et d’endurance, vécu comme un grand moment de partage entre des citoyens de condition et de cités différentes ; les Grecs venaient de Sicile, de Thrace, près de 40 000 personnes s’y retrouvaient. La seule gloire était de vaincre – les médailles et la flamme olympique n’existaient pas, le gagnant ne recevait qu’une couronne de lauriers – et cela jusqu’à ce que l’empereur chrétien Théodose interdise les Jeux au IV e siècle, au motif qu’ils étaient dédiés aux dieux. Et l’écrivain de médi- ter, devant le temple d’Héra où la tradition veut que soit allumée la flamme depuis 1936: « Je suis heureux que Coubertin ait repris cet idéal grec en 1896; mais inquiet à l’idée qu’aujourd’hui, y com- pris à l’intérieur du comité olympique, certains n’aient pas compris les valeurs de l’olympisme : à savoir la trêve et la concorde. » 

Ce miracle grec se respire aussi sur les hauteurs d’Athènes, où l’Acropole célèbre les dieux. Construite sur un rocher, dont on a l’impression que les colonnes sont extraites, grandiose sans grandiloquence, elle est l’illustration parfaite du sens de la mesure et de l’harmonie qui est le cœur de la pensée grecque. Avec, quelques mètres en dessous, à l’image de la hiérarchie entre mortels et immortels, l’Agora dédiée au peuple, là où les hommes décident de leur façon de vivre en société. « Quand la démocratie émerge, elle invente à la fois le démagogue et le démocrate.Le premier flatte les opinions déjà formées, le second tente de les construire », précise celui qui, dans un dialogue de Platon, pourrait être à la fois Calliclès et Socrate. « La Grèce tout entière est une veilleuse de l’humanité. Je pourrais vivre ici, si ce n’était la peur de devenir paresseux. Il y subsiste une façon d’être au monde pleine de sérénité », conclut le flâneur séculaire. 

Isabelle Lortholary

La Dépêche du Midi. - « Passionnant! »

Quatrième tome de la prodigieuse série littéraire imaginée et écrite par Eric-Emmanuel Schmitt, nous retrouvons les héros de cette saga, Noam, Noura et Derek cinq siècles avant le début de notre ère, dans ce qui est alors le berceau de la civilisation, la Grèce. 

Le souffle prodigieux qui anime l’auteur depuis le début est toujours aussi intense. Grace à lui, on a pu revivre la période du néolithique, le déluge, la construction de la tour de Babel, l’Egypte des pharaons et la sortie de Moïse. 

Noam, comme à chaque épisode, apprend très vite. Il est doté de cette capacité d’adaptation qui lui permet de faire face à des situations nouvelles. Après quelques années d’errance, il accoste à Lesbos et va être projeté dans un des plus grands tourbillons de l’histoire que la société ait pu produire au niveau de la pensée intellectuelle. Médecin, il rencontre Hippocrate qui lui parle du serment qu’il veut faire signer à tous les jeunes qu’il projette de former dans sa future école. Socrate le prend en amitié, l’initie aux subtilités de la philosophie. Ému, il éprouve un véritable choc en assistant à sa première pièce de théâtre, une tragédie, grecque évidemment, qui le laisse sans voix. Doté de qualités physiques hors du commun, même si personne dans son entourage ne sait qu’il est immortel, il parvient à force et d’entraînement, à se qualifier pour les Jeux Olympiques. À cette époque, les épreuves se disputent nu, les femmes mariées ne sont pas admises dans les tribunes. Javelot, course, lancer du disque, Noam passe les épreuves avec succès... Surtout, il découvre avec stupéfaction le mode qui régit alors la cité : la démocratie! Tout le talent d’Eric-Emmanuel Schmitt est de nous faire assister à ces joutes oratoires, à ces questionnements sur l’avenir de la société. Ici, les Athéniens se demandent s’il faut faire la guerre à Sparte. Périclès parle, on l’écoute, Socrate devise en marchant, on marche avec lui. Et Noam, qui a pris le nom d’Argos et est devenu citoyen, observe les jeux de pouvoir, les jeux de séduction aussi. Dans ce pays dominé par l’Acropole et soumis aux dieux, l’apprentissage de la liberté donne des ailes à certains. Mais excite les convoitises et les haines. L’histoire de l’humanité en quelque sorte. Passionnant! 

Sébastien Dubos

Le Soir (Belgique) - « Juste et passionnant. On attend déjà les autres volumes de la saga ! »

La Traversée des temps, c’est l’his­toire de l’humanité, rien que ça. Son héros, Noam, est né il y a 8.000 ans. Il est immortel et va donc franchir les siècles. Jusqu’à aujourd’hui où il s’assied et écrit son histoire. Sous la plume d’Eric­Emmanuel Schmitt, qui est en quelque sorte son scribe. Paradis perdu se passe au Néolithique et pen­dant le Déluge, La porte du ciel raconte Babel et la civilisation mésopotamienne, Soleil sombre fait revivre l’Egypte et Moïse. Le quatrième tome, La lumière du bonheur, se passe en Grèce au IVe siècle avant notre ère. On y croise So­crate, Hippocrate, Alcibiade, Périclès, Anastasie, Sappho... 

On est dans le roman, quasi dans le feuilleton. Avec ses péripéties, ses in­trigues, ses rebondissements, ses mé­chants. Mais tout ça sous le ciel enso­leillé qui a vu la naissance du théâtre, de la philosophie, de la démocratie. Eric­ Emmanuel Schmitt sait y faire. C’est foi­sonnant, mais juste et passionnant. On attend déjà les autres volumes de la saga, qui en comptera neuf, l’auteur nous l’ap­prend. « Le cinquième s’appellera Les deux Royaumes », précise-t-il. « L’Em­pire terrestre de Rome et l’Empire cé­leste de Jérusalem. » 

Pourquoi avoir commencé cette entre­ prise folle qu’est cette saga ?
Pour rendre hommage au pouvoir du ro­ man. Au contraire des ruines, le roman a le pouvoir de nous restituer un monde ancien, aboli, dans sa sensorialité, sa spiritualité, dans tous ses aspects. Le ro­man permet ce voyage dans le temps comme aucun autre art. Et puis c’est aussi pour interroger le présent à partir du passé, pour traverser les époques où l’humanité se transforme, où elle passe d’un âge à un autre, où commence à se dessiner le monde dans lequel nous sommes actuellement. La société hu­maine n’est pas une ruche. A la fin de ce tome­-ci, Noam, bouleversé par tout ce qui s’est passé à Athènes, ne supporte plus rien et reste en compagnie des abeilles. Comme Platon, traumatisé par la mort de Socrate, prend la ruche comme le modèle d’une société parfaite où chacun est naturellement à sa place. 

Mais non, la société n’est pas un phéno­mène naturel, c’est un phénomène his­torique, humain. C’est bon de s’interro­ger sur ces grandes bascules. Et c’est aussi bon de retrouver le sentiment de l’étonnement devant ce qui se construit et là, en l’occurrence, c’est la démocratie. Pour nous, la démocratie, ça va de soi, quoique de moins en moins. Mais, Noam, lui, n’a connu que des régimes fondés sur la force. Et là, tout d’un coup, des hommes se dessaisissent de leurs forces et disent que, désormais, dans ce groupe, on sera tous égaux et on va se ré­ partir les charges d’une façon soit élec­tive, soit aléatoire, par tirage au sort. C’est une révolution. Noam n’y croit pas parce que ce n’est pas un système fort. Il regarde la démocratie comme Poutine, il se dit que ça ne peut pas marcher. Mais ça marche. Ce n’est pas un système par­ fait, c’est aussi ce que raconte tout le livre, mais il existe. 

Et c’est une leçon pour aujourd’hui ? 

Je trouve. En plus, on distingue, comme un précipité chimique à l’état pur, les ca­tégories qui vont innerver notre vie. La démocratie crée trois personnages : le démocrate, le démagogue et l’ambitieux. On peut ranger tous nos hommes poli­ tiques dedans. Le démocrate incarne la démocratie, dessine un avenir commun pour tout le monde, est soucieux du bien commun et pas du bien des groupes. C’est ce sont des figures rares dans l’his­toire, Churchill, de Gaulle, Périclès. Le démagogue flatte l’opinion d’un groupe, il n’unit pas : il divise et il a besoin de ces divisions pour exister. Et puis l’ambi­tieux arrive, dans la mesure où le pou­ voir n’est plus pris par la force ou par l’hérédité. C’est Napoléon ou Macron, celui qui a compris que la démocratie, c’est le règne de l’opinion, et qui s’en sert. 

Qu’avez­ vous appris en écrivant cette saga ?
Cela m’oblige à réfléchir sur l’histoire. Et ce que je soupèse surtout, c’est la fragili­ té. Je pensais saisir l’historicité, c’est­ à­ dire le fait que les choses arrivent, mais elles sont fragiles, elles disparaissent. La démocratie athénienne ne va être qu’un souvenir dans l’histoire des hommes avant que le XVIIIe siècle la fasse re­ naître. Donc j’ai un grand sentiment de la fragilité des progrès. Et je pense que 

ce sentiment est contemporain. On avait vécu comme une suspension de l’histoire, en Europe en tout cas, et puis l’histoire se rappelle à nous et on se rend compte de la fragilité de tout ce qui nous semblait solide et acquis. 

Le fil rouge de cette saga, n’est­ ce pas la recherche de la liberté ?
Très clairement, c’est une recherche hu­maniste. Noam est guérisseur, médecin, pour lui, tout homme vaut un autre homme. Une éthique en avance par rap­ port à toutes les éthiques qui vont s’éla­borer. Même l’éthique grecque n’est pas encore dans cette idée des droits de la personne. La démocratie grecque a un logiciel inverse du nôtre : elle part du groupe dans lequel elle essaie d’organi­ser une égalité. Chez nous, la démocra­tie part de l’individu et de ses droits. Noam a sans doute un logiciel qui res­semble plus au logiciel judéo­-chrétien, dont nous avons hérité à travers les droits de l’homme. Et puis, comme je le disais plus tôt, il s’agit de s’étonner. Se­lon Platon, la première vertu du philo­sophe, c’est de s’étonner. Et là, il y a l’étonnement devant l’arrivée du théâtre, de la démocratie, du sport, des jeux olympiques, de la philosophie, d’une pensée déliée du religieux. 

A chaque tome, vous revenez à l’époque contemporaine, celle où Noam écrit.
Noam a pris la plume parce qu’il a été saisi d’une angoisse nouvelle. Toute son existence, il a rencontré des théories sur la fin du monde. Auparavant, on crai­gnait la fin du monde venant soit des dieux, soit de Dieu, soit de la nature. Et là, tout d’un coup, la pensée propre du XXIe siècle, c’est que l’homme peut lui­ même provoquer la fin de son propre monde. C’est l’angoisse écologique, cette idée que nous sommes trop nombreux, que nous exploitons trop la terre, que nous changeons le climat, que nous ex­ténuons les ressources, que nous faisons disparaître de la vie... Dans ce roman, je montre comment les catégories poli­ tiques de l’Antiquité ont innervé notre présent, mais en étant détournées, puis­ qu’il y a plus de démagogues que de dé­mocrates et que même les tyrans prennent les allures de démocrates en organisant des pseudo­életions... 

 

JEAN-CLAUDE VANTROYEN

Publications

  • En langue française, publié par Albin Michel