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Résumé
"Je m'appelle Saad Saad, ce qui signifie en arabe Espoir Espoir et en anglais Triste, Triste"
Saad veut quitter Bagdad, son chaos, pour gagner l'Europe, la liberté, un avenir.
Mais comment franchir les frontières sans un dinar en poche? Comment, tel Ulysse, affronter les tempêtes, survivre aux naufrages, échapper aux trafiquants d'opium, ignorer le chant des sirènes devenues rockeuses, se soustraire à la cruauté d'un geôlier cyclopéen ou s'arracher aux enchantements amoureux d'une Calypso sicilienne?
Tour à tour violent, bouffon, tragique, le voyage sans retour de Saad commence. D'aventures en tribulations, rythmé par les conversations avec un père tendre et inoubliable, ce roman narre l'exode d'un de ces millions d'hommes qui, aujourd'hui, cherchent une place sur la terre: un clandestin.Conteur captivant, témoin fraternel, Eric-Emmanuel Schmitt livre une épopée picaresque de notre temps et interroge la condition humaine. Les frontières sont-elles le bastion de nos identités ou le dernier rempart de nos illusions?
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Critiques
Tangence (Canada) - « Réécriture de la figure mythique d’Ulysse dans Ulysse from Bagdad d’Éric-Emmanuel Schmitt »
Réécriture de la figure mythique d’Ulysse dans Ulysse from Bagdad d’Éric-Emmanuel Schmitt
Joëlle Cauville
Saint Mary’s University (Halifax)
Résumé
Dans Ulysse from Bagdad, Éric-Emmanuel Schmitt fait appel consciemment au mythe : il fait le pari d’ennoblir son personnage, l’immigré clandestin irakien, Saad Saad en le plongeant dans un voyage comparable à celui d’Ulysse dans l’Odyssée. Toutefois le périple d’Ulysse est un voyage de retour tandis que celui de Saad est celui de tous les départs. Là n’est pas la seule entorse que l’écrivain contemporain fait au texte matriciel. En analysant cette réécriture originale du célèbre mythe, on s’apercevra que, par le ton parodique de son roman, Schmitt est aussi l’héritier de Giraudoux. Nous conclurons que l’humour de Schmitt, sa verve de conteur et son recours à la grande épopée homérique ne nous détournent pas du sérieux de la condition de Saad Saad, ils nous permettent paradoxalement d’en mesurer la gravité.
Abstract
Rewriting the mythical figure of Ulysses in Ulysses from Bagdad by Eric-Emmanuel Schmitt
In Ulysses from Bagdad, Eric-Emmanuel Schmitt consciously calls upon the myth: he takes the risk of ennobling his character, the illegal Iraqian immigrant, Saad Saad, by plunging him into a voyage comparable to that of Ulysses in the Odyssey. Ulysses’ journey, however, is a return trip, whereas Saad’s journey is a departure like others. This is not the only liberty the contemporary author takes with the matrix text. By analyzing this original rewriting of the famous myth, we observe that through the novel’s tone of parody, Schmitt is also the inheritor of Giraudoux. We conclude that Schmitt’s humour, his storytelling verve and his recourse to the great Homeric epic do not distract us from the serious nature of Saad Saad’s condition, but allow us, paradoxically, to measure its gravity.
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Qualifier Éric-Emmanuel Schmitt de « mythophage » comme le journaliste belge Jacques de Decker[1] n’hésite pas à le faire est sans aucun doute pertinent, lorsqu’on pense à son évocation de Don Juan dans La nuit de Valogne[2] ou encore à celle d’Hamlet dans Golden Joe[3] ou même à sa réécriture du mythe d’Orphée et Eurydice dans L’hôtel des deux mondes[4]. Son avant-dernier roman, Ulysse from Bagdad[5], paru en 2008 et qui lui valut le Prix des Grands Espaces, ne fait que le confirmer : l’écrivain, en marchant dans les pas d’Homère et en mettant en scène le héros mythologique par excellence, Ulysse, s’inscrit dans une lignée d’auteurs tels que Joyce (Ulysse, 1921) ou encore Giraudoux auquel, d’ailleurs, il emprunte l’exergue de son ouvrage : « Il n’y a d’étranger que ce qui n’est pas humain[6]. »
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Balzac disait : « Les mythes nous pressent de toutes parts, ils servent à tout, expliquent tout[7]. » En effet, depuis toujours, le mythe n’a cessé de contribuer à la création littéraire et artistique, car il nous invite à nous interroger sur notre propre condition humaine. Or, Éric-Emmanuel Schmitt, philosophe de formation, dit vouloir développer « un humanisme de la question ». Selon lui, nous sommes « frères en questions[8] », et le rôle du romancier est d’affûter la question, d’y chercher des éventails de réponses, d’être sans cesse défié par le point de vue de l’autre. Le mythe, ses invariants et ses métamorphoses, correspondent à cette humeur interrogeante et s’il en est un qui n’a cessé de subir des renouvellements, des questionnements, c’est bien le mythe d’Ulysse qui, selon Denis Kohler, tout comme celui d’Hermès, est « multiple, fait de mille fragments et de mille visages, et se tourne de tous côtés comme le poulpe[9] ».
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Au cours de cette étude, on tentera de cerner comment l’ambiguïté de la personnalité du héros antique se retrouve chez le protagoniste schmittien. On analysera la façon dont l’écrivain du xxie siècle transpose ou altère les composantes du récit mythique, en examinant la structure du roman, le point de vue narratif adopté et la trace de l’influence plus contemporaine d’un maître de la réécriture du récit homérique : Jean Giraudoux. Ces différentes étapes de l’analyse conduiront à confirmer l’originalité d’Éric-Emmanuel Schmitt et à valider sa présentation de l’immigré sans papier comme la nouvelle figure de l’Ulysse contemporain.
Ambiguïté du héros mythologique d’Homère
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Le héros de l’Odyssée est multiple à bien des égards : est-il fils de Laërte ou fils de Sisyphe[10] ? Il est à la fois le jeune homme et le vieillard, le mendiant et le maître : en un mot, l’homme des métamorphoses. Il est ingénieux (kairós), rusé (métis), diplomate… et double ; à la fois homme de volonté et de mémoire, froid calculateur et capable d’être ému jusqu’aux larmes. « La fortune du mythe d’Ulysse repose sur cette tension qui existe en permanence dans son caractère[11] », affirme encore Denis Kolher dans son article sur le héros de l’Odyssée. Le critique ajoute qu’Ulysse s’offre à nous, lecteurs, à chaque étape de son destin littéraire, avec une force de présence qui tend à lui faire quitter l’aura révérencielle dont jouissent d’autres grandes figures mythiques, telles qu’Antigone ou Oedipe, pour le statut d’une simple « personne » ou même de « Personne », faisant allusion à l’épisode du cyclope, c’est-à-dire pour le statut de n’importe qui, facilitant ainsi l’identification du lecteur avec le personnage.
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De Laërte, il tiendrait l’intelligence (métis en grec) : la faculté de saisir rapidement une situation ainsi que celle de s’y adapter, de contourner un obstacle, de se donner, au contraire de ses compagnons de voyage (par exemple dans l’épisode de Circé), le temps de la réflexion, de l’astuce. La métis, c’est aussi l’esprit critique à l’état naissant. Cette vertu peut malheureusement devenir vice : ce qu’Ulysse tiendrait de Sisyphe, son autre géniteur possible, et alors, l’astuce se transformerait en rouerie, la souplesse en bassesse, la réserve en hypocrisie. Reste à savoir si Saad Saad, le protagoniste d’Ulysse from Bagdad possède cette même ambivalence.
Saad Saad, un héros schmittien à l’identité complexe
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D’entrée de jeu, l’identité du héros de Schmitt est, elle aussi, complexe. Le titre du roman est pour le moins annonciateur d’un personnage aux multiples facettes : sur le plan de l’origine d’abord, il semble être un double de la grande figure homérique du passé. En effet, la préposition « from » est empruntée à l’anglais qui fait office de lingua franca dans notre monde internationalisé. Quant au choix de la ville de Bagdad, il est lourd de signification, renvoyant à un endroit précis du monde où il ne fait pas bon naître et vivre aujourd’hui. Cette préposition indique aussi peut-être la façon cavalière dont notre société de consommation traite l’espèce humaine : Saad Saad, alias Ulysse, paraît plus une commodité, un objet d’échange, « from » serait en quelque sorte comparable au label made in. En ce qui concerne le prénom du protagoniste, Saad Saad, il change de signification, passant du positif au négatif, selon que l’on se réfère à l’arabe où il signifie « espoir » ou à l’anglais où sa sonorité évoque le qualificatif « triste ». Le jeune Irakien, même si sa filiation est univoque (il est bien le fils de son père, bibliothécaire irakien de la ville de Bagdad), semble confus quant à son identité, tout comme l’ensemble de ses compatriotes dont le pays a plié successivement sous le joug de la dictature de Saddam Hussein et sous l’occupation américaine :
[C]hacun de nous portait en lui plusieurs êtres différents.
Qui étais-je moi-même ? Irakien ? Arabe ? Musulman ? Démocrate ? Fils ? Futur père ? Épris de justice et de liberté ? Étudiant ? Autonome ? Amoureux ? Tout cela ; pourtant tout cela résonnait mal ensemble […] Sitôt que je m’exprimais, je constituais donc un orchestre à moi seul, mais un orchestre aux timbres et aux instruments discordants, un tintamarre.
UFB, p. 45-46
Emprunts évidents à l’Odyssée
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Éric-Emmanuel Schmitt ne se contente pas de prêter l’identité confuse d’Ulysse à son jeune héros, il puise plusieurs péripéties du voyage de Saad Saad aux épisodes de l’Odyssée. Ainsi le chapitre 5 du roman en reprend le Chant ix qui raconte l’histoire des Lotophages, d’ailleurs cité de mémoire par le fantôme du père du protagoniste, érudit tué à cause d’une bavure américaine : « Le dixième jour, Ulysse et ses compagnons abordèrent le pays des mangeurs de fleurs appelés Lotophages. […] Or quiconque en goûtait le fruit aussi doux que le miel, ne voulait plus rentrer chez lui » (UFB, p. 116). L’écrivain reprend également, sans toutefois respecter la chronologie de l’épopée homérique et en accommodant la trame épique à son récit du xxie siècle, le passage de Circé (chap. 6/Chant x), celui des sirènes (chap. 8/Chant xii), celui du cyclope (chap. 9/Chant ix), le passage de Charybde et Scylla (chap. 10/Chant xii), l’idylle du héros grec avec Calypso alias Vittoria (chap. 10/Chant v), qui ayant trouvé Saad Saad nu sur la plage, « telle Nausicaa découvrant Ulysse nu entre les roseaux […] » (UFB, p. 210), décide de le surnommer Ulysse (chap. 10/Chant vi). Et le héros de Schmitt d’approuver sa nouvelle identité avec désinvolture : « Ulysse ? Ça me va » (UFB, p. 210).
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On le comprendra, Éric-Emmanuel Schmitt s’amuse : il prend un vif plaisir à utiliser la structure mythique traditionnelle de l’épopée odysséenne pour tenir un discours d’actualité. Pourtant, plutôt que de détailler chaque allusion directe ou indirecte à l’Odyssée, il me paraît plus intéressant de voir en quoi le roman de Schmitt diverge de ce récit fondateur et surtout pourquoi il a éprouvé le besoin de se placer sous l’égide d’Homère et de transmettre à son protagoniste, immigré clandestin, un tel héritage, un tel pedigree.
Divergences quant à la structure du récit
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En premier lieu, la structure d’Ulysse from Bagdad diffère du récit mythique initial : Saad Saad, contrairement à Ulysse, ne se livre pas à un voyage de retour. En fait, pour ce qui est de sa structure, Ulysse from Bagdad emprunterait plus à l’Iliade car son héros s’éloigne de sa patrie, non pour partir en guerre mais au contraire pour fuir la guerre, non pour une quête héroïque comme celle qui conduira Ulysse à Troie afin de sauver l’honneur des Grecs mais pour échapper à un régime dictatorial, s’évader d’un pays à feu et à sang et s’inventer un avenir en Grande-Bretagne, démocratie occidentale qui a donné le jour à Agatha Christie, à qui lui et sa petite amie Leila vouent une admiration sans bornes :
— Rien ne me tranquillise autant que la lecture d’un de ses romans, m’avoua [Leila]. C’est rassurant.
— Rassurant ? Pourtant les journaux l’appelaient « la Reine du crime » !
— Quoi de plus apaisant qu’un monde où il n’y a que des crimes domestiques, raffinés, artistiquement mis en scène par des criminels intelligents, usant de poisons sophistiqués. Pour nous, ici, qui vivons dans un univers de brutes où la force domine, c’est délicieux, d’un exotisme enchanteur.
UFB, p. 48-49
Le rôle de Leila se démarque de celui de Pénélope puisqu’elle est déclarée morte sous les bombes au début du roman et qu’elle constitue une des raisons principales du départ de Saad d’Irak. Toutefois, le personnage féminin est aussi le double de la femme d’Ulysse, puisque Saad lui reste fidèle en respectant leur choix commun de cette nouvelle patrie, l’Angleterre, où il finira miraculeusement par la retrouver. Cette Angleterre à laquelle s’attache le héros de Schmitt, à laquelle il ne veut pas renoncer malgré ses tribulations offre une variante au thème odysséen de ce que la critique a identifié comme : « La fumée d’Ithaque », le « dur désir de rentrer[12] », la notion d’intimité à retrouver, chère au héros homérique. Pour souligner le fait que sa protagoniste descend bien de l’Odyssée, à la fin du roman, au moment où Leila et Saad se retrouvent et projettent de finalement réaliser leur rêve de refaire leur vie en Grande-Bretagne, Schmitt fait de la jeune femme, double de Pénélope la tisserande, une brodeuse : « […] Leila et moi filions le parfait amour sur une mer paisible. Au matin, elle partait travailler chez une brodeuse qui l’employait contre quelques centimes et son pain de la veille » (UFB, p. 290)[13].
10
Enfin, au tout début du roman, l’auteur avait déjà introduit le motif du tissage, du travail d’aiguille qui définit Pénélope à travers le personnage de la mère de Saad qui, au départ de son fils d’Irak lui donne, en souvenir d’elle, « une petite couverture » (UFB, p. 104). Il lui fait alors le serment suivant :
Je ne la perdrai jamais. Lorsque je m’installerai en Angleterre, je l’encadrerai […] Chaque 1er janvier, je la désignerai à mes enfants et je leur expliquerai : « Regardez ce tissu, c’est une couverture de votre grand-mère. En apparence, on dirait une vieille carpette très moche ; en réalité, c’est un tapis volant. Sur elle, j’ai traversé les continents pour m’établir ici, vous donner une belle vie avec une excellente éducation dans un pays prospère et en paix […]. »
UFB, p. 104-105
Le roman est donc celui du départ vers l’inconnu : Saad Saad n’a pas le choix, il y va de sa survie et, dans le préambule, il honnit cette existence de fuite conditionnée par le lieu où l’on naît. Sa quête héroïque est inversée : tandis que celle d’Ulysse, son voyage de retour vers Pénélope et les siens, vers ses racines, était centripète, la sienne est centrifuge. À l’opposé d’Ulysse qui reçoit un accueil sans pareil, sa renommée le précédant et dont on attend avec impatience le récit des exploits, Saad n’est reconnu nulle part et doit taire son identité. Et pourtant, Schmitt, qui met en scène un exclu de la société, se refuse à en faire un anti-héros. Au contraire, il confère à l’Irakien Saad Saad certains attributs d’Ulysse parce qu’il veut redorer son blason d’immigré clandestin, d’apatride qui, selon lui, fait preuve d’un courage « héroïque » et à qui pourtant, cruellement, la communauté humaine ne reconnaît aucun nom. Saad Saad est devenu « Personne » car, pour lui, revendiquer une identité menace sa sécurité. Avec un douanier « atypique » un peu plus intelligent et moins inhumain que les autres, il a cet échange :
— Comment vous appelez-vous ?
— Ulysse
— Pardon ?
— Ulysse. Parfois aussi je m’appelle Personne. Mais personne ne m’appelle Personne. D’ailleurs personne ne m’appelle […].
— D’où venez-vous ?
— D’Ithaque.
— D’Irak ?
— Non d’Ithaque. Là d’où viennent tous les Ulysse.
— Où est-ce ?
— On ne l’a jamais su […].
— Qui nous assure que vous [n]’êtes pas criminel ?
— Je suis un cas non prévu par la loi, mais pas contre la loi.
— J’ai peur de très bien vous comprendre.
UFB, p. 253-254
Ainsi donc, bravant tous les dangers qu’implique un tel voyage loin des siens, Saad Saad contribue au renouvellement du mythe du héros : « l’une des rêveries les plus constantes de l’homme[14] ». En effet, en lui s’incarne parfaitement le modèle héroïque que Philippe Sellier caractérise dans son ouvrage Le mythe du héros par « le désir d’échapper, aux limites d’une vie terne pour accéder à la lumière, la volonté de quitter les bas-fonds pour les hauts espaces[15] ».
Un point de vue narratif original
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Se démarquant toujours d’Homère qui présente Ulysse et les autres acteurs de son épopée par le biais d’un narrateur omniscient, Schmitt donne directement la parole à Saad Saad qui, en racontant sa propre histoire, se trouve ainsi être doublement maître de son destin. En effet, la dimension merveilleuse de la saga homérique avec l’intervention continuelle des dieux dans la destinée des hommes, Athéna par exemple, la protectrice par excellence du héros, celle qui a de l’indulgence pour sa « métis » ambiguë[16], est pratiquement évacuée. La déesse, conseillère d’Ulysse, est en fait remplacée par la présence burlesque du fantôme du père de Saad Saad qui rend régulièrement visite à son fils de l’au-delà et lui apporte ses conseils et son soutien. Ainsi est évoquée, mais de façon inversée, la descente aux enfers du Chant xi de l’Odyssée où c’est Ulysse lui-même qui, à la suggestion de Circé, se rend dans l’Hadès pour y recueillir les conseils du devin Tirésias quant à la façon de retourner sain et sauf à Ithaque.
12
Éric-Emmanuel Schmitt confirme, à travers les propos de ce père fantôme, qu’il ne faut pas chercher dans sa personnalité fantasque le merveilleux épique. À son fils qui s’interroge sur cette intervention paternelle quotidienne dans sa vie : « Pourtant il faut bien que tu arrives de quelque part ! Un monde parallèle […] », le père répond : « Ce quelque part, c’est l’intérieur de toi, Saad. Je viens de ton corps, de ton coeur, de tes lubies. Tu es mon fils. Je suis inscrit en toi, dans tes souvenirs autant que dans tes gènes » (UFB, p. 183). Ce personnage haut en couleurs permet à Schmitt de rappeler la poésie homérique des épisodes de la saga odysséenne, tout en s’en démarquant avec ironie. Intellectuel érudit qui a passé sa vie dans les livres et a essayé de les sauver de l’autodafé du régime anti-intellectuel de Saddam Hussein (UFB, p. 102), le père de Saad Saad s’exprime comme Homère quand il interpelle son fils. En effet, le leitmotiv, « Saad Saad, chair de ma chair, sang de mon sang, sueur des étoiles » (UFB, p. 18-19), nous rappelle les envolées lyriques de l’aède grec, telle « la fille du matin, l’aube aux doigts roses », qui ponctuent les chants de l’Odyssée. Toutefois, frustré d’être incompris de son fils, le père de Saad Saad opte souvent pour le registre argotique avec une aisance tout aussi créative qui distille de l’humour dans le roman et permet de marquer une distance ironique par rapport au texte matriciel :
Ainsi passait-il de « peu me chaut » à « rien à cirer », de « cesse de m’emberlificoter, facétieux lutin » à « te fiche pas de moi, crétin ». En fait mon père ignorait les mots usuels ; il ne pratiquait que les extrêmes, vivant aux deux étages les plus distants de la langue, le noble et le trivial […].
UFB, p. 19
13
En plus de constamment faire des clins d’oeil complices au lecteur, en lui faisant partager ses propres souvenirs de l’Odyssée, en plus de donner des lettres de noblesse à son héros, de témoigner de son courage et de son héroïsme dignes de la grande figure grecque et ce, pour des raisons moralement plus louables — la recherche de la paix, de la liberté, le désir de porter secours à sa famille restée en Irak —, Éric-Emmanuel Schmitt se livre à une autre prouesse : celle de donner une dimension parodique à son roman en travestissant les épisodes homériques.
La parodie : l’apport giralducien dans Ulysse from Bagdad
14
En cela, il inscrit son roman dans un autre palimpseste : celui des textes de Giraudoux, La guerre de Troie n’aura pas lieu (1935), et surtout, Elpénor, publié en 1926 qu’il cite en exergue de son ouvrage. Ce roman giralducien met en scène le plus minable personnage de l’Odyssée, celui qu’Ulysse, le héros d’Homère, décrit comme un « jeune homme point trop vaillant dans les combats et peu ferme d’esprit[17] » et qui mourut prématurément et peu noblement en tombant accidentellement du toit du logis de Circé. La critique a vu dans les quatre textes giralduciens juxtaposés d’Elpénor une vision burlesque de l’épopée, l’envers du décor homérique où Ulysse est quasiment exclu de sa propre histoire. Schmitt emprunte donc à Giraudoux le ton parodique. La parodie se définit comme un dénigrement des valeurs non par le contraire mais par le même, elle fonctionne sur la dissonance entre le modèle et son imitation, elle s’attaque souvent au sacré, au sublime et au tragique[18]. Un exemple de ce ton parodique dans Ulysse from Bagdad serait l’épisode des sirènes transformées en rockeuses. Boubacar, l’ami africain de Saad Saad, comme lui sans papiers, trouve, au Caire, une façon de financer leur voyage vers l’Europe : devenir les gardes du corps d’un groupe de rockeuses, « Les sirènes », quitte à en devenir sourds et ce, malgré de la cire dans leurs oreilles :
Les Sirènes n’illustraient pas la légende antique ; elles n’avaient rien en commun avec les femmes-poissons […], créatures fatales qui, paraît-il, noyaient les marins après les avoir séduits. Davantage que les sirènes d’autrefois, les Sirènes évoquaient celles d’aujourd’hui, ces alarmes électriques qui se déchaînaient lors de l’irruption du feu ou du voleur.
UFB, p. 161
La parodie est alors épopée retournée qui génère le rire car, selon Genette, « le comique n’est qu’un tragique vu de dos[19] ». En ce sens, Elpénor, écrit au lendemain de la Première Guerre mondiale, en parodiant l’Odyssée, était aussi l’expression de la révolte d’un esprit normalien détruisant « les valeurs apprises », remplaçant le héros par l’anti-héros : « C’est un texte prémonitoire portant en germe le nihilisme des années trente[20]. » Or, Schmitt s’inspire autant d’Homère que du dramaturge du xxe siècle. La quête héroïque de Saad Saad est plus personnelle que celle d’Ulysse. La défense de la patrie se réduit à la survie de la famille et à sa propre survie. L’heure n’est plus au nationalisme à tout prix. Elle n’est toutefois pas non plus à la totale dérision : la citation que Schmitt choisit du texte de Giraudoux, « il n’y a d’étranger que ce qui n’est pas humain » (parole de la nymphe Nausicaa, 130), devient la seule valeur possible, celle qui dénonce la condition scandaleuse de l’émigré clandestin, hors-la-loi alors que tout être humain digne de ce nom se devrait d’accueillir l’autre, son prochain.
*
15
Ce recours au mythe homérique est-il gênant dans la mesure où sa réécriture, tout en donnant une clef de lecture, une explication à l’histoire de l’émigré clandestin Saad Saad, la décontextualise en la rendant atemporelle ? En effet, ce dernier, érigé au statut héroïque, perd de son immédiateté aux yeux du lecteur. Le passage au mythe nous empêche-t-il de réfléchir à notre monde actuel, aux troubles qui le secouent et contribuent à des impasses telles que celles où se retrouvent l’Afghanistan et l’Irak, ou encore, plus récemment, à la situation inquiétante des révolutions libyenne ou syrienne, car les lecteurs, captivés par la saga odysséenne, renonceraient à interroger leur part de responsabilité dans ces événements ? L’auteur d’Ulysse from Bagdad place son héros dans un contexte historique précis : le régime totalitaire de Saddam Hussein, la Guerre du Golfe et la triste conséquence de l’immigration clandestine du Moyen-Orient vers l’Europe. À notre avis, l’humour de Schmitt, sa verve de conteur et ses emprunts à la grande épopée homérique ainsi qu’à ses versions parodiées, ne nous détournent pas du sérieux de la condition de Saad Saad, ils nous permettent paradoxalement d’en mesurer la gravité. En conférant à l’immigré clandestin, au sans-papier, laissé-pour-compte dans notre monde de plus en plus cynique, un statut de héros mythologique, en soulignant ses qualités de courage, d’intelligence et d’humanité qu’il a en partage avec l’Ulysse homérique, en rendant ce dernier plus proche de son lecteur, Éric-Emmanuel Schmitt continue d’être « un écrivain de l’espérance dans un monde désespéré[21] ».
Note biographique
Joëlle Cauville est professeure agrégée de français à l’Université Saint Mary’s d’Halifax (Nouvelle-Écosse, Canada). En plus de nombreux articles sur la littérature française contemporaine, elle a publié en 1996 Mythographie hyvrardienne aux Presses de l’Université Laval. En 1997, Réécriture des mythes : l’utopie au féminin a paru aux éditions Rodopi, fruit d’une collaboration avec Metka Zupan?i?. Finalement, Appartenances dans la littérature francophone d’Amérique du Nord a été publié en collaboration avec Larry Steele (Mount Saint Vincent University) et Sophie Beaulé (Saint Mary’s University) aux éditions Le Nordir, en 2005.
Notes
[1]
Jacques de Decker, « Ulysse au pays de l’exil » [en ligne], Le Soir (Éric-Emmanuel Schmitt – Le site officiel, page consultée le 5 septembre 2009, URL : http://www.eric-emmanuel-schmitt.com).
[2]
Éric-Emmanuel Schmitt, La nuit de Valogne, Paris, Albin Michel, 1991.
[3]
Éric-Emmanuel Schmitt, Golden Joe, Paris, Albin Michel, 1995.
[4]
Éric-Emmanuel Schmitt, L’hôtel des deux mondes, Paris, Albin Michel, 1999.
[5]
Éric-Emmanuel Schmitt, Ulysse from Bagdad, Paris, Albin Michel, 2008. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle UFB, suivi de la page, et placées entre parenthèses dans le corps du texte. La femme au miroir, son dernier roman, a paru à la rentrée littéraire 2011, chez le même éditeur.
[6]
Jean Giraudoux, Elpénor, Paris, Grasset, 1938, p. 130.
[7]
Honoré de Balzac, « La vieille fille », Nouvelles scènes de la vie de Province, 1836, dans Oeuvres d’Honoré de Balzac [en ligne], Bruxelles, Meline, Cans et Compagnie, 1837, p. 75, page consultée le 13 avril 2010, URL : http://books.google.ca.
[8]
Stéphan Bureau, Stéphan Bureau rencontre Éric-Emmanuel Schmitt : la foi, souffle du créateur, DVD, env. 50 min., Montréal, Contact TV, 2010.
[9]
Denis Kohler, « Ulysse », dans Pierre Brunel (dir.), Dictionnaire des mythes littéraires, Paris, Éditions du Rocher, 1988, p. 1403.
[10]
Au chant xvi (v. 117-120), Télémaque esquisse devant son père, qu’il n’a pas encore reconnu, une rapide généalogie de sa lignée paternelle : « Zeus n’a jamais donné qu’un fils aux hommes de ma race :/Arcicios ainsi n’eut qu’un seul fils, Laërte ;/Et celui-ci n’eut que le seul Ulysse ; puis Ulysse/Ne laissa au palais que moi seul, sans en profiter […] » (Homère, Odyssée [1982], traduction, notes et postface de Philippe Jaccottet, Paris, La Découverte, coll. « Poche », 2004). Toutefois, après Homère, avec le développement de la critique qui s’est penchée sur la fourberie d’Ulysse, poètes et mythographes ont cherché à lui attribuer une autre ascendance que celle de Laërte. Ainsi Sophocle le qualifie-t-il dans Philoctète (v. 417) de « fils de Sisyphe acheté par Laërte » ou dans Ajax (v. 190) de « rejeton de la race infâme de Sisyphe » après que Sisyphe eut abusé de sa mère Anticlée qui fut ensuite donnée en mariage à Laërte (Les origines et l’enfance d’Ulysse [en ligne], page consultée le 2 août 2012, URL : http://www.mediterranées.net/mythes/ulysse/origines.html.)
[11]
Denis Kolher, « Ulysse », art. cité, p. 1406.
[12]
Denis Kohler, « Ulysse », art. cité, p. 1414.
[13]
C’est moi qui souligne.
[14]
Paul-Augustin Deproost, Laurence Van Ypersele et Myriam Watthee-Delmotte, « Héros et héroïsation : approches théoriques » [en ligne], Les cahiers de l’imaginaire, no 2, 2002-2003, p. 1, page consultée le 17 mai 2011, URL : http://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/ucl/documents/cahiers2.pdf .
[15]
Philippe Sellier, Le mythe du héros, Paris, Bordas, 1985, p. 9.
[16]
La déesse Athéna commente ainsi la fourberie ulysséenne : « Ô malin, ô subtil, ô jamais rassasié de ruses/Ne vas-tu pas dans ton pays abandonner/Cette passion pour le mensonge et les fourbes discours ?/Allons, n’en parlons plus, puisque nous sommes toi et moi/Des astucieux […] » (Homère, Odyssée, ouvr. cité, Chant xiii, v. 293-297, p. 220).
[17]
Homère, Odyssée, ouvr. cité, Chant x, v. 551-560, p. 175.
[18]
Hélène Carbolic-Roure, « L’ironie de Giraudoux : de l’ironie moderne à “l’Umorismo” » [en ligne], Loxias, no 5, mis en ligne le 15 juin 2004, page consultée le 17 avril 2013, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=44.
[19]
Gérard Genette, Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, Seuil, 1982, p. 45.
[20]
Hélène Carbolic-Roure, « L’ironie de Giraudoux : de l’ironie moderne à “l’Umorismo” » [en ligne], Loxias, no 5, mis en ligne le 15 juin 2004, page consultée le 6 février 2011, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html.
[21]
Michel Meyer, Éric-Emmanuel Schmitt ou les identités bouleversées, Paris, Albin Michel, 2004, p. 8.
Auteur : Joëlle Cauville
Titre : Réécriture de la figure mythique d’Ulysse dans Ulysse from Bagdad d’Éric-Emmanuel Schmitt
Revue : Tangence, Numéro 101, 2013, p. 11-21
URI : http://id.erudit.org/iderudit/1018872ar
DOI : 10.7202/1018872ar
Tous droits réservés © Tangence, 2013
Joëlle Cauville
Le Parisien - « Un grand roman »
Mode d'emploi : prévoir d'avoir un peu de temps devant soi. Ouvrir ce livre et se laisser porter. Sans jamais perdre le sens du tempo romanesque et dans une langue à la fois simple et belle, Eric-Emmanuel Schmitt signe un récit d'une intelligence et d'une acuité remarquables, une fête pour l'esprit. Saad Saad est sans doute l'un des héros les plus symboliques du monde d'aujourd'hui et Schmitt un philosophe des temps modernes, un penseur non pas pensif, mais actif, capable de poser sur les plateaux de la balance, à l'équilibre, le tragique et la comédie. Voici enfin le grand roman de l'automne.Philippe Vavasseur
RTL - « Ecouter Bernard Lehut »
Les Echos - « L'odyssée clandestine »
« Ulysse from Bagdad » est un livre généreux et prenant. Avec une verve farouche, Eric-Emmanuel Schmitt dit sa haine des frontières, qui au nom d'un Dieu, d'une patrie ou d'une communauté, mettent l'homme et ses espoirs en morceaux.PHILIPPE CHEVILLEY
France info - « Un roman devenu best-seller en quelques jours »
Depuis quelques années, de nombreux irakiens ont quitté leur pays et malgré eux, sont devenus des clandestins. C'est l'une de ces histoires qu'a imaginé Eric-Emmanuel Schmitt dans "Ulysse from Bagdad". Un périple inoubliable. Un roman devenu best-seller en quelques jours.Philippe Vallet
Femmes - « Ulysse from Bagdad »
...Si la critique se méfie du succès et reproche à l'auteur de céder parfois aux bons sentiments, elle devrait rendre justice à Ulysse from Bagdad, un comte philosophique en forme de clin d'œil au voyage d'Ulysse. Le périple de Saad, un jeune étudiant irakien qui espère une terre meilleure, s'impose ainsi comme une belle réflexion sur l'immigration clandestine et l'iniquité des frontières.
L'Express - « Schmitt le bon Samaritain »
Certes, Eric-Emmanuel Schmitt n'est ni afghan ni guinéen, ni même irakien, comme le jeune héros de son dernier roman, Ulysse from Bagdad. Pourtant, c'est bien de ces pays lointains et de l'exil que l'auteur a traité à travers un récit qui, avouons-nous le, sauf à vouer aux gémonies tout roman véhiculant son lot de bons sentiments, se révèle des plus réussis.Cette odyssée relatant les tribulations de clandestins en ce début de XXIe siècle démontre encore une fois la documentation et le savoir-faire du normalien et agrégé de philosophie Schmitt. Qui arrive à séduire avec une histoire presque banale de pauvre hère « né quelque part où il ne faut pas », sans jamais tomber dans le manichéisme.....Et c'est finalement le droit des individus à disposer d'eux-même, au-delà des aléas de la naissance, que prône ici Schmitt, auteur-cousu d'or- de pièces de théâtre jouées sur la terre entière. Comme un acte de contrition ?MP
Metro - « Critique express »
Un périple humaniste, entre Persépolis, les Mille et une nuits et ... l'Odyssée, bien sur.
Jennifer Lesieur
Europe 1 - « Ecouter Philippe Besson »
Le Figaro - « Un homme orchestre au succès éclatant »
... un récit picaresque et envoûtant.Blaise de Chabalier
Le Soir - « Ulysse au pays de l'exil »
Schmitt met ses pas dans ceux d'Homère. Pour nous raconter une histoire on ne peut plus actuelle.Eric-Emmanuel Schmitt est un mythophage. Il se nourrit, se gave de récits fondateurs dans son théâtre et ses récits. Il a convoqué Don Juan dans sa Nuit de Valogne, Hamlet dans son Golden Joe, selon ce principe que le théâtre se prête parfaitement à la reconsidération des fables fondatrices. Il s'est même attaqué aux Escritures, allant jusqu'à intituler sans vergogne le volume où il a rassemblé sa Nuit des Oliviers et son Evangile selon Pilate tout simplement - il faut le faire!- Mes Evangiles. Manifestement, Schmitt rime avec mythe, et il entend bien le prouver. Il récidive avec son nouveau roman, Ulysse from Bagdad.Le culot une fois de plus, ne demeure pas en reste. Le modèle, le palimpseste auquel il se réfère cette fois n'est rien de moins que L'Odyssée, le premier grand roman de voyage et d'aventures de notre culture. Après Mozart, Molière, Shakespeare, Diderot qui le fascine de puis toujours et qu'il connaît sur le bout des doigts, il va chercher sa trame chez Homère. Comme Joyce, en somme. Il suffit d'oser.Dans le même temps, il pince une autre des cordes dont son arc est bien pourvu: celle de la fabulation au départ de l'actualité, dont il nous a donné déjà quelques illustrations dans son "Cycle de l'invisible" avec lequel il a conquis le monde. Il y a quelque chose de son Monsieur Ibrahim ou de sa Dame rose dans Ulysse from Bagdad: une même stylisation, une recherche de simplicité, le goût de l'apologue, de l'histoire exemplaire, qui appelle la réflexion morale sans l'imposer pour autant.(...) Car si Schmitt rencontre une telle adhésion (et s'il doit tant subir l'opprobre de nombre d'intellectuels), c'est qu'il croit à une fonction constructive de l'art, à sa vertu de mobilisation aussi, tout en veillant à être accessible au plus grand nombre, ce que son immense culture et son évidente habileté lui permettent d'accomplir. De sorte que le succès, une fois de plus, ne sera pas usurpé.Jacques de Decker
La Provence - « Renaître ailleurs selon Eric-Emmanuel Schmitt »
Chaque texte d'Eric-Emmanuel Schmitt développe l'idée que la vie n'est pas absurde mais demeure mystérieuse. C'est-à-dire qu'elle a un sens mais que ce sens est caché. Ses romans, comme ses pièces, affirment également « qu'il y a des rêves qui nous tiennent éveillés » et, au final, nous précisent que « le bonheur qu'on attend gâche parfois celui qu'on vit ». On retrouve tout cela dans Ulysse from Bagdad qui se veut une épopée picaresque de notre temps ainsi qu'une interrogation sur la condition humaine. Le narrateur cherche à gagner l'Europe afin de survivre au chaos de son pays en guerre. (...) Drôle émouvant, Ulysse from Bagdad est le roman d'une renaissance.
La Croix - « De Charybde en Sylla »
L'épopée de Saad devient un véritable voyage initiatique (...) mieux, elle s'adresse à tous, tel un véritable plaidoyer, pour mettre un terme à cet effroyable gâchis qui condamne à la mort ou à la prison une part sans cesse croissante d'hommes jeunes et courageux.« Les frontières, on a bien le droit de se demander pourquoi elles existent » Une interrogation qu'Eric-Emmanuel Schmitt a transformée, avec talent, en un chaleureux récit.
Claire Lesegretain
Telerama - « Ulysse from Bagdad »
Eric-Emmanuel Schmitt est un conteur caméléon, une sorte d'auteur-acteur qui se glisse à merveille dans la peau de ses personnages. Comme tous les romanciers ? Sauf qu'il met davantage encore de plaisir de jeu, d'amour visible de la contrainte et de la règle ; à l'image de l'homme de théâtre qu'il est aussi. Sous sa plume ont ainsi revécu avec science et art Ponce Pilate, une délicieuse vieille dame rose et un Hitler encore innocent. Voilà qu'il s'attaque à un clandestin irakien qui, de Bagdad à Londres, connaîtra les mêmes mésaventures (à peine déguisées) qu'Ulysse, son lointain et mythique compagnon d'infortune. Même si Saad, lui, ne souhaite jamais revenir à Bagdad-Ithaque, lieu chaotique de toutes les souffrances, où il aura vu mourir, un à un, la plupart des siens. Sous Saddam Hussein comme sous l'occupation américaine. Eric-Emmanuel Schmitt conjugue habilement politique et magie orientale, raconte un pays en détresse et fait joyeusement revenir et parler les fantômes, mêle tragédie et fantaisie. Donne généreusement à comprendre et à rêver le monde.Fabienne Pascaud
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