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La Traversée des temps - Paradis perdus - tome 1

Résumé

Cette Traversée des temps affronte un prodigieux  défi : raconter l’histoire de l’humanité sous la forme d’un roman. Faire défiler les siècles, en embrasser les âges, en sentir les bouleversements, comme si Yuval Noah Harari avait croisé Alexandre Dumas. Depuis plus de trente ans, ce projet titanesque occupe Eric-Emmanuel Schmitt. Accumulant connaissances scientifiques, médicales, religieuses, philosophiques, créant des personnages forts, touchants, vivants, il lui donne aujourd’hui naissance et nous propulse d’un monde à l’autre, de la préhistoire à nos jours, d’évolutions en révolutions, tandis que le passé éclaire le présent. 
Paradis perdus lance cette aventure unique. Noam en est le héros. Né il y a 8000 ans dans un village lacustre, au cœur d’une nature paradisiaque, il a affronté les drames de son clan le jour où il a rencontré Noura, une femme imprévisible et fascinante, qui le révèle à lui-même. Il s’est mesuré à une calamité célèbre : le Déluge. Non seulement le Déluge fit entrer Noam-Noé dans l’Histoire mais il détermina son destin. Serait-il le seul à parcourir les époques ?

Critiques

Le Monde - « « La Bible est un roman qui s’écrit toujours » »

Raconter l’histoire de l’humanité sous la forme d’un roman. C’est le défi que s’est lancé l’auteur avec « La Traversée des temps », dans lequel il revisite nos récits fondateurs en huit volumes.

Si Eric-Emmanuel Schmitt affectionne particulièrement les formats courts et les nouvelles, il nous propose cette fois, avec La Traversée des temps (Albin Michel, 576 p., 22,90 euros), un roman d’une tout autre ampleur. Ou plutôt des romans, puisque le cycle se déclinera en huit volumes, comptabilisant au total près de 5 000 pages. Il n’en fallait pas moins pour affronter le défi que l’écrivain s’est fixé à l’âge de 25 ans : celui de narrer l’histoire de l’humanité sous la forme d’un roman.

En prenant appui sur les récits fondateurs de notre culture, au premier rang desquels la Bible et l’Epopée de Gilgamesh – qu’il revisite et actualise –, Eric-Emmanuel Schmitt explore le passé pour éclairer le présent. Paradis perdus est le premier volet de ce cycle fleuve. Sur fond de déluge, il met en scène un héros devenu immortel, Noam, qui accompagnera le lecteur tout au long de cette ambitieuse Traversée des temps.

Qu’est-ce qui vous a incité à vous lancer dans un chantier de cette envergure ?

Eric-Emmanuel Schmitt : Les peintres disent que le sujet commande, qu’il appelle à telle ou telle dimension de toile. C’est la même chose en littérature. Je suis plus un scribe qu’un créateur ; j’obéis au sujet qui me traverse. Ce livre m’est apparu telle une fulgurance quand, jeune agrégé de philosophie, je suis sorti de Normale-Sup. J’ai eu l’idée d’un très gros roman narrant l’histoire d’un immortel à travers les siècles, qui nous raconterait les événements ayant fondé l’humanité et nous montrerait comment nous sommes devenus ce que nous sommes. Mais à 25 ans, je me sentais incapable de m’emparer de ce projet. J’ai donc longtemps procrastiné, car j’avais peur de me lancer. Ce projet est cependant devenu un programme.

Quelle a été votre méthodologie pour concevoir ce cycle romanesque ? 

Pendant des années, j’ai accumulé les sources; tout ce que j’écrivais était à la fois une fin en soi et une préparation qui me permettait d’élargir ma palette de peintre. Sur le plan narratif, la mise en oeuvre a nécessité un très gros travail de conception. J’ai bâti une architecture du cycle pour articuler la dramaturgie de l’ensemble. Une fois l’arbre des possibles construit, j’ai pu commencer à rédiger.

L’influence de « L’Epopée de Gilgamesh » est ici manifeste, que ce soit à travers le thème de l’immortalité ou dans le personnage de Noura, qui n’est pas sans évoquer la joyeuse prostituée du texte mésopotamien. Fait-il partie de vos livres de chevet ? 

Absolument. Les livres fondateurs des civilisations sont précisément des récits qui essaient d’organiser le sens, d’expliquer comment nous sommes arrivés là. A ce titre, Gilgamesh et la bible m’intéressent énormément. Ce qui m’amuse, c’est de proposer une autre version que celle de l’histoire qui est parvenu jusqu’à nous. C’est une manière de montrer comment les hommes se lient par des fictions communes auxquelles ils croient.

Quel rapport entretenez-vous avec le texte biblique, sachant que « Paradis perdus » emprunte à l’épisode du Déluge ? 

Pour moi la Bible est un roman qui s’écrit toujours. Un roman que le commentaire critique a continué et que, de nos jours encore, le commentaire scientifique fait perdurer en venant interroger son historicité. Je suis impressionné par la capacité qu’a la Bible de toujours générer du sens et de la fiction, aujourd’hui comme demain. Dans ce roman infini, j’apporte mon moment à moi.

Les problématiques liées à l’historicité de la Bible me passionnent. On voit bien que la Bible est un récit qui se construit, qu’il y a plusieurs couches de texte, par exemple dans la Genèse, et qu’on veut faire dire au texte des choses diff”rentes selon les époques. Je pense que la Bible ne fait pas seulement l’éducation des hommes, mais aussi celle de Dieu.

Progressivement elle fait apparaître la figure d’un dieu qui serait à la hauteur de Dieu. Au fil du texte on voit comment l’idée de Dieu, initialement perçu comme colérique ou vindicatif, s’affine et se précise. Le récit d’Abraham m’apparaît d’ailleurs comme une éducation de Dieu, et non du patriarche.Quand Yahvé lui demande de sacrifier son fils, Abraham semble lui dire: “ Si tu es Dieu, montre-toi à la hauteur de Dieu et arrête-moi”.

Vous dites avoir vécu une expérience mystique dans le désert, que vous avez relatée dans « La Nuit de feu » (Albin Michel, 2015). Cette expérience a-t-elle donné la foi à l’athée que vous étiez ? 

Aujourd’hui, je me qualifierais plutôt de chrétien. La lecture des évangiles a en effet ajouté quelque chose à la grâce de la foi reçue dans le désert, laquelle n’était reliée à aucune religion. Issu d’un milieu athée, j’ai alors vécu une pure expérience de l’Absolu, de Dieu.

Mais parce que j’ai reçu la foi de cette manière presque hors contexte - le désert étant le minimum du contexte-, j’ai pu entrer, par mes lectures, dans diverses religions. Tous les mystiques sont mes frères et mes soeurs, qu’ils soient boudhistes, musulmans, juifs ou chrétiens: on parle de la même chos, et on en parle d’ailleurs mal puisque aucun discours ne peut dire l’ineffable.

Néanmoins, ma foi s’est précisée en s’articulant aux Evangile, dont la lectures’a bouleversé dans leur proclamation de la suprématie de l’amour. Hegel disait que l’amour est “ indéfectible , qu’il ne peut être le fruit du raisonnement. C’est une affirmation, une folie, un emportement.

Remplacer la méfiance, la peur et l’intérêt par l’amour, comme le proposent les Evangiles, est quelque chose d’inouï. C’est pour cela que je me dis chrétien- en assument également, bien sûr, l’héritage de la philosophie occidentale.

Etes-vous pratiquant ? 

Je suis ravi de partager ma foi avec les autres, mais je n’ai pas besoin d’être avec les autres pour la vivre. Je ne suis donc pas quelqu’un qui participe à des cérémonies à des rites. Ma foi est nourrie par le silence, la méditation, la prière, l’expérience du monde, et même par la force intérieure que je sens en moi.

Le fait de questionner l’historicité du texte biblique ainsi que les autres traditions religieuses de l’humanité pour écrire cette « Traversée des temps » a-t-il occasionné une remise en question de vos convictions spirituelles ? 

Ecrire ce livre n’a pas changé ma foi mais l’a contextualisée. Il est vrai que quand on s’affronte à l’archéologie de ses propres croyances, on peut être déstabilisé en prenant conscience qu’il y a dans la Bibles des aspects contingents - qui auraient pu ne pas être. Si, en écrivant cette grande histoir, j’ai parfois pu avoir le sentiment de fragiliser ma foi, je ne le perçois plus ainsi.

Comme Bergson, je pense que toutes les religions ont le même coeur - un coeur de feu, un coeur mystique. Les religions sont des manières de dire l’ineffable, des ritualisations des manières de faire, ds institutions visant à organiser le dire et le faire. A force on s’éloigne tellement du coeur mystique que cela finit par être froid, parfois même glaciare. Souvent, la grande personnalité religieuse est celle qui rapproche le bord du centre, qui ramène le feu dans l’institution.

Vous écrivez : « Ne survivront aux cataclysmes que ceux qui aiment et respectent les lois de la nature ». Pourquoi avez-vous inscrit la trame romanesque de votre livre dans le contexte de la crise écologique que nous traversons ? 

Il me semble que la spécificité de ce début de XXIe siècle est que l’homme a pris conscience de sa boursouflure. Il s’est rendu “maître et possesseur de la nature” au point de la détruire, et peut-être de se détruire lui-même. Après avoir ressenti pendant des siècles l’ivresse de la maîtrise, l’homme contemporain dessoûle, réalisant que la toute-domination est une impasse.

Le livre s’appelle Paradis perdus parce qu’il y a quelque chose de perdu dans la vie que Noam connaissait au néolithique: l’animisme, cette idée que l’homme n’est qu’un hôte parmi les hôtes de la nature, sans statut d’exception ni de supériorité. Il n’est qu’un vivant parmi les vivants. Et les vivants, ce ne sont pas seulement l’homme et les animaux, ce sont également les végétaux, la pierre, le vent, tous les éléments de la nature. Dans l’animisme, l’homme n’a pas le privilège de l’esprit, il y a des esprits partout - le monde est à la fois complètement matériel et complètement spirituel.

Mais l’homme va progressivement s’arroger le privilège de l’esprit jusqu’à penser, avec Heidegger, qu’il est le seul “berger de l’Etre”. Ces “hommes préhistoriques” que nous méprisons tant avaient une forme de sagesse et une façon d’être au monde qui pourraient nous inspirer. Car il y a un bonheur, une jubilation, et même une consolation à exister en tant qu’être naturel parmi les êtres naturels, sans statut d’exception.

Alors que l’immortalité est souvent vue comme le Graal, vous dites que cette particularité qui concerne votre héros, Noam, est « une malédiction ». Quel regard portez-vous sur le transhumanisme, qui essaie d’en repousser les limites ? 

La science produit le scientisme, et l’humanisme a produit son contraire, avec le tanshumanisme. C’est ce qui advient lorsqu’une démarche devient un intégrisme et une idéologie péremptoire. Alors que l’humanisme est la conscience de la vulnérabilité humaine et la morale de responsabilité qui en découle - avec l’idée que notre mortalité fonde notre existence-, le trans humanisme prétend échapper à la condition humaine.

Outre que cette utopie ne se réalisera jamais, c’est une sottise vectrice de guerre - entre les riches et les pauvres, ceux qui pourront accéder à ces technologies et ceux qui ne le pourront pas. Cette idéologie apporte donc le contraire de ce qu’elle promettait.

Si la vie est sans fin, elle n’a plus de sens. « Dieu ou la nature », pour parler comme Spinoza, a voulu la perpétuité de l’espèce et la mort de l’individu. Nous recevons la vie et nous la transmettons, mais elle ne nous appartient pas : elle est la propriété de l’espèce. L’idée selon laquelle l’individu serait plus que l’espèce constitue une rupture existentielle et métaphysique énorme. D’autant plus que l’immortalité ne donne pas la réponse à tout. Nous serions par conséquent immortellement ignorants. 

En travaillant sur ce cycle, certaines périodes de l’histoire vous ont-elles semblé plus désirables que la nôtre ? 

Non. J’aime passionnément notre époque, y compris dans ses défauts. Je trouve de l’intérêt et des choses qui me nourrissent dans chaque époque, sans pour autant tomber dans la nostalgie. On peut effectivement se poser la question puisqu’il est question de « paradis perdus », mais je pense qu’au fond, aucun paradis n’est réellement perdu.


« Personne ne vit exactement dans son époque » , dit Noam dans une petite note. On vit tous, par intermittence, à travers nos rêves, nos aspirations, dans un autre temps que celui auquel nous appartenons. Ce sont les espaces que permettent la poésie et la rêverie.

Vous disiez que travailler sur ce livre a parfois pu fragiliser vos croyances religieuses. Cela a-t-il aussi, parfois, fragilisé votre foi en l’humanité ? 

Oui, absolument. J’ai l’impression que l’homme n’apprend pas de lui-même. Non que l’enseignement de l’histoire soit inutile – j’y crois au contraire profondément. Mais je me suis rendu compte que si l’humanité fait parfois de belles choses, c’est la plupart du temps pour de mauvaises raisons. 

Dans son essai Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique , Kant explique que l’humanité ne souhaite jamais le bien comme tel, elle souhaite le moins pire. Il prédit ainsi qu’il existera un jour une société des nations, car les peuples, las de la guerre, souhaiteront des instances de régulation. C’est donc le mal qui fait progresser le bien. 

Je suis optimiste métaphysiquement, mais pessimiste quand je regarde la société. Optimiste métaphysiquement car la vie est un cadeau sublime. Mais ce qu’en font parfois les hommes me rend très pessimiste. Nous ne sommes pas à la hauteur du cadeau que l’on nous fait. Moi-même, je ne me sens pas à la hauteur de ce cadeau d’être en vie et d’être un homme au milieu des hommes. 

« Je suis optimiste métaphysiquement, mais pessimiste quand je regarde la société » L’écriture ne vient-elle pas consoler ce sentiment ? 

L’écriture est une manière de prendre soin de soi. C’est un temps de recul par rapport à l’urgence, à la vie sociale et à la norme, un espace où on peut se reconstruire ou se trouver – exactement comme l’espace du rêve pendant la nuit. Le neurobiologiste Michel Jouvet (1925-2017) a observé que le rêve nous réindividualise, alors que la société nous atomise ou nous pulvérise avec ses diktats. Le moment que l’on consacre à l’écriture est aussi un moment de réindividualisation, de retour à soi. Ecrire est un projet existentiel. 

 

 

 

 

 

 



Virginie Larousse

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Livre Hebo - « J'ai l'impression d'être né nostalgique. »

Alliant les grandes questions métaphysiques au souffle romanesque, Éric-Emmanuel Schmitt signe une épopée du genre humain en huit volumes, La traversée des temps. Le tome I, Paradis perdus, nous embarque dans l’arche de la fiction.

D’où vous est venue cette idée aussi ambitieuse d’une histoire de l’humanité?

Eric-Emmanuel Schmitt: Comme une fulgurante qui m’a traversée à l’âge de 25 ans. Je commençais ma carrière d’universitaire à Besançon. Après avoir lu uniquement de la littérature d’idées pour mes études de philosophie, je faisais une orgie d’ouvrages de fiction, je retrouvais le bonheur de lire pour mon plaisir. Tout encore imprégné de l’encyclopédisme de Diderot sur lequel j’écrivais ma thèse - un auteur frontière entre réflexion philosophique et littérature - j’ai eu l’idée d’un homme ayant ce destin que la plupart des humains trouvent enviable: il ne mourrait jamais. Mon héros traverserait le temps et montrerait comment l’humanité telle qu’elle est aujourd’hui s’est constituée. Une fourmilière, une termitière, une ruche… ça n’a pas bougé depuis des milliers d’années. Le propre de la société humaine, c’est qu’elle n’est pas naturelle et qu’elle change. L’humanité elle-même est sans doute une création de l’homme. Je voulais en faire une archéologie, mais pas sous lia forme d’encyclopédie, plutôt à travers une fiction, avec toute la force du roman, de sorte que le récit ne soit pas un squelette mais qu’il ait de la chair.

Pourquoi un départ biblique avec un protagoniste qui s’appelle Noam, comme Noé, et l’épisode du déluge?

La Bible est une source d’inspiration infinie. Je ne cesserai d’en parler dans tous les tomes. Pas la Bible comme référence, plutôt comme une histoire dans l’Histoire. Pour ce qui est du Déluge, ce cataclysme originel déviait l’objet des récits mythiques, mais également de recherches scientifiques, d’études archéologiques sérieuses, d’exégèses de toute sorte. L’histoire du Déluge continue dans d’autres épisodes - je montrerai comment, notamment avec les Mésopotamiens et Gilgamesh. La Bibles est un récit, elle n’est pas le seul: l’histoire se récrit constamment , et la Bible elle-même se récrit constamment dans le temps à travers nos lectures et nos découvertes. Les références m’intéressent si elles renvoient à d’autres histoires.

Revenons à Noam/Noé. Pourquoi cette figure d’ancêtre de l’humanité plutôt qu’un autre patriarche de l’Ancien Testament, voire le Titan grec Prométhée?

Ce premier volume plante en quelque sorte le décor - un contexte néolithique. C’est la dernière fois que la nature prend le dessus; après, c’est l’humain qui dominera. Noé se trouve à la charnière. Nous vivons aujourd’hui dans une nature totalement hominisée, déséquilibrée par l’activité humaine. - c’est ce qu’on appelle l’anthropocène. Noé, lui, veut sauver le monde ancien d’où il vient. Il est dans un environnement plus fort que lui ou Dieu, ou la Nature si l’on veut être spinoziste, se manifeste partout et prend en charge les destins. Cette figure de Noé me paraissait fondatrice de l’Histoire qui, pour moi, commence après le Déluge. Avant, on a affaire un état prélarvaire des sociétés, celles de la préhistoire étant davantage des clans.

Ces temps inchoatifs que vous dépeignez ne paraissent pas déficients pour autant…

Ce monde très ancien du Néolithique n’est pas porteur d’imbécilité ou d’insuffisance, c’est un environnement on développe un rapport - autre que notre vision technicienne- à la nature, aux animaux, qui comporte une véritable sagesse, et je dirais même un équilibre écologique. Dans l’animisme, il y a un refus de faire de l’homme une espèce à part: la gît la force de cette pensée. Tout a une âme, pas seulement un homme, un animal, mais une plante, une pierre, la lune.

Voulez-vous dire que tout y fait “religion”, au sens du lien entre les choses, que tout s’y relie?

En effet, le monde est selon ce regard, constitué d’un réseau du sens, car l’homme n’est pas dépositaire du sens. Avec le monothéisme, il reçoit de Dieu le logos (le sens qui passe par la parole), et il est le seul à pouvoir donner du signifiant aux choses, car les animaux ne sont pas doués de parole. Dans l’animisme au contraire, le spirituel est partout: tout ce qui constitue le monde est à la fois le receveur et le donateur de sens.

Si ce volume et les sept à venir empruntent la linéarité de la marche de l4histoire, vous aimez jouer avec les distorsions temporelles ou l’uchronie, comme dans La part de l’autre où vous aviez imaginé un Hitler qui eût embrassé la carrière de peintre.

J’aimais bien l’idée de décongeler Noam dans l’époque contemporaine. Il fallait absolument que le passé éclaire le présent et vice versa. Quand on regarde le passé, on l’observe du point de vu de la fenêtre qu’on découpe dans le mur du présent. Le passé nous apparait à travers des préoccupations contemporaines, nous allons y chercher ce qui peut drainer notre présent ou s’y opposer pour le comprendre. C’est toujours le présent avec ses soucis du présent, la société du présent et ses problématiques contemporaines, qui fouille le passé et y cherche ses racines ou ses ruptures. Dans Paradis perdus on est témoins d’une bascule. En opposant l’ère d’où vient Noam et notre époque on observent césure profonde: on passe d’un homme, hôte de la nature, hôte parmi les hôtes sans statut supérieur à un héros exceptionnel qui asservit totalement la nature, voire la détruit.

Du point de vue narratif, cela vous permet de jouer d’une certaine ironie…

Noam a en effet cette caractéristique d’hiberner, de passer un certain temps dans un sommeil qui l’éloigne. Dans les cavernes, des lieux humides comme des ventres, en retournant à la matrice, il échappe aux hommes et renaît. Même blessé, même détruit, il a la possibilité de se reconstituer dans cette antre. A chaque renaissance sera doté d’un immense bagage constitué pendant les périodes passés mais aussi d’une innocence perpétuellement renouvelée tel un Persan à la Montesquieu.

Paradis perdus avec un “s”… que signifie ce pluriel?

C’est une polysémie inscrite au départ: je voulais que les identifications de ce paradis soient plurielles. Le paradis est d’abord un temps historique où l’homme n’avait pas encore assujetti la natur, où il évoluait à égalité parmi les vivants. Le paradis, c’est encore le temps de l’extase poétique avec la nature, l’extase amoureuse également ou l’extase mystique. Paradis donc au pluriel et perdus car ils ne sont plus. C’est quelque chose qui m’a toujours frappé - l’impression d’être né nostalgique. En termes psychanalytiques, jungiens, le lac c’est la mère - une eau dormante, apaisante, dont nous sommes violemment expulsés.

Au commencement c’était le déluge. Et aussi le désir… Votre Traversée des temps n’est-elle pas aussi une histoire d’amour?

Je souhaitais raconter une histoire d’amour étalée sur des siècles avec deux personnages, Noam et Noura, qui pensent la même chose mais jamais au même moment. Ils ne sont pas synchrones. On peut être immortel avec un rapport au temps complètement différent. Noura ne réagit pas comme Noam parce que son corps est le corps d’une femme, un corps inscrit dans un temps rythmé par des cycles, un corps qui n’est pas une fin en soi puisqu’il est censé donner la vie. Nourra a beau avoir reçu l’immortalité, elle développe une forme de frustration, d’impatience, parfois une incapacité se livrer au bonheur, une haine d’elle même. Elle constitue un personnage suffisamment complexe pour que je puisse m’occuper d’elle durant des milliers de pages! Noam dans ce rapport de fascination vis à vis d’elle, ce qui me permettra de détailler les milles facettes du rapport amoureux.

Mais vous auriez pu raconter une épopée du genre humain en faisant se succéder les générations. Pourquoi un narrateur immortel?

Cela ne sera jamais énoncé explicitement. De vomie en volume, les interprétations se multiplieront mais l’immortalité restera une donnée de fait, un mystère qui aura frappé, telle la foudre, les personnages. Peut-être ai-je écrit cette histoire d’immortels pour apprivoiser ma propre mortalité. Pour me dire, et également aux lecteurs: vous savez, c’est mieux d’être mortel. Mieux d’assumer le transitoire qui seul nous a été donné afin d’habiter la condition humaine. Plus j’avance dans mon récit plus je me rends compteur l’immortalité est une épouvante absolue: Nourra et un autre personnage plus sombre nommé Derek le réalisent. Non seulement l’exception de la perpétuité engendre la solitude, mais l’immortalité produit le non-sens. La mortalité nous inclut dans une histoire, celle de la vie qui continue et sans nous. Cette vie que nous avons reçue n’a de raison d’être que parce que nous la léguons à notre tour. Je n’entends pas cela de la seule acception biologique: les enfants d’un artiste, ce sont ses oeuvres. Ce qui importe est la transmission. 

Sean J. Rose

Le Soir (Belgique) - « Eric-Emmanuel Schmitt nous emballe dans un récit romanesque à souhait! »

Eric-Emmanuel Schmitt ose une saga en huit volumes, « La traversée des temps ». Noam l’immortel parcourt les siècles et nous emballe dans un récit romanesque à souhait qui interroge subtilement notre modernité. 

On est à la fois à l’aube de l’humanité, le long d’un grand lac, et aujourd’hui, à Beyrouth, secouée par les mouvements étudiants contre le réchauffement climatique, comme partout ailleurs dans le monde, parce que la Terre agonise. Noam est à Beyrouth. Noam se souvient du lac. Car Noam est immortel. Et comme ses siècles d’existence lui ont donné de l’expérience et de la sagesse, il écrit sa traversée des temps. Parce qu’il est urgent d’inciter l’humanité à une autre vie. Et le lecteur bascule dans ce qui devrait être l’Ukraine d’aujourd’hui, un village de chasseurs pêcheurs cueilleurs le long d’un lac, les prémices de l’agriculture. Noam est le fils du chef Pannoam. A 13ans, on lui donne Mina comme épouse. Mais après, il rencontre Noura, la superbe Noura, la terrible Noura, la fille du guérisseur Tibor, et sa vie ne sera plus la même. 

L’écrivain franco-belge nous entraîne dans la sarabande enfiévrée du combat de Noam. Combat politique, contre la tyrannie de son père ; combat amoureux, dans la passion pour Noura; combat contre lui-même pour ne jamais céder à la facilité ; combat contre les éléments, enfin. Car l’eau du lac monte, insensible- ment puis de plus en plus rapidement. Et Noam doit faire face. Il fait venir des constructeurs de pirogue d’un autre village et leur fait ériger des maisons flot- tantes. Noam, vous l’avez compris, c’est Noé et le déluge est là, qui arrive. D’avant-hier à aujourd’hui, Schmitt nous ballotte sur les flots mouvants de l’Histoire et de son imagination, avec un art du romanesque, des péripéties, des coups de théâtre, de l’aventure, et une habileté à camper des personnages formidables, Noam et Noura bien sûr, mais aussi ceux qui les entourent : Mina, l’oncle Barak qui vit dans la nature, en dehors du village, Tibor, Derek, Cham, les chasseresses accueillantes... 

 

D’où vous est venue cette idée in- croyable de raconter l’histoire de l’humanité ?
J’avais 25 ans, je sortais de Normale Sup, on m’avait nommé assistant à l’université de Besançon, je finissais ma thèse sur Diderot, et cette idée m’a traversé. L’essentiel de l’idée, c’est-à-dire l’histoire d’un immortel qui traverserait les époques, qui ne serait pas seulement spectateur mais acteur des grands mouvements qui ont changé l’histoire et qui nous livrerait ses mémoires par inquiétude sur le destin de l’humanité. Et qui serait en plus habité par cette double tension : il cherche le secret de la vie pour les autres et le secret de la mort pour lui. Parce qu’est venu tout de suite le sentiment que l’immortalité est un fléau, un fardeau, et pas quelque chose de souhaitable. Et sans doute ai-je écrit aussi le livre pour apprivoiser moi- même ma propre mortalité. 

 

Et parce que vous êtes inquiet sur le devenir de l’humanité ?
Au XXe siècle, il y a une prise de conscience unique que peut-être l’homme est allé trop loin. L’écologie est devenue une émotion partagée sur la planète. C’est la première fois dans l’histoire humaine que l’homme prend conscience de son enflure à ce point-là, se rend compte qu’il a déjà transformé la terre en anthropocène et qu’il est peut- être en train de miner les conditions même de sa survie sur cette terre. Je me disais qu’il était intéressant d’interroger l’historicité de cette prise de conscience nouvelle, à l’issue d’une longue histoire qui commence ici, avec des hommes qui étaient simplement des hôtes minoritaires au sein d’une nature extrêmement généreuse. Et ça s’enclenche avec la sédentarité, la division des métiers, l’approfondissement des techniques, etc., etc. Mettre en scène la conscience in- quiète d’un homme qui a vu tout ça se mettre en place et qui se réinterroge tout à coup pour se demander : ça valait-il le coup, était-ce la bonne direction ? 

 

Est-ce une histoire ou une mise en garde ?
C’est en tout cas certainement la prise de conscience de l’histoire humaine comme un impérialisme qui finit par supprimer les conditions de notre survie. C’est pour cela que je prends le déluge, cette première catastrophe qui fait entrer l’Homme dans l’Histoire. Le déluge a été interprété pendant des siècles par les hommes comme la colère des dieux ou de Dieu ou celle de la nature. Aujourd’hui, l’homme se passe de Dieu, des dieux ou de la nature pour détruire. On 

écrit pour essayer d’interroger, pour éclairer. Je n’ai pas à prendre la main des gens pour leur dire ce qu’ils doivent faire. Mais les éveiller, oui. 

 

Le premier tome de la saga s’appelle « Paradis perdus ». Le néolithique était-il l’éden?
Dès qu’un bébé naît, il est assez vieux pour être nostalgique. Moi j’ai toujours été nostalgique. Le ventre de la mère, la mémoire de mes ancêtres, celle d’un autre temps. Je crois qu’on porte en nous l’idée d’un ailleurs dans le temps que sans doute on a perdu. C’est une donnée humaine. Il n’y a pas d’histoire humaine sans paradis perdu. On a beaucoup de mépris pour nos ancêtres mais ils vivaient dans un rapport avec la nature qui est peut-être un paradis perdu. L’homme, un élément parmi d’autres au sein de la nature, sans privilège, sans statut d’exception. Tout est habité par des âmes et des esprits, le vent, les troncs, les animaux, les pierres. L’esprit, les âmes, les démons sont partout. Il y a une sa- gesse, là-dedans, de ne pas pouvoir se mettre au-dessus du reste de la nature. Il me semble intéressant d’interroger les choix de l’homme. La sédentarité, c’est le moteur du progrès, mais c’est aussi le moteur de l’asservissement et de la guerre. 

 

Pourquoi avoir choisi Noam, Noé, comme héros immortel plutôt que Prométhée ?
Parce que le déluge est véritablement le moment qui fait rentrer l’Homme dans l’Histoire. Le déluge, on le connaît par les textes dits sacrés, la Bible ou L’épopée de Gilgamesh, et les gens croient que ces textes sont des traces d’un déluge effectif. Or, depuis les années 90, la science a montré que la hausse du niveau de la Méditerranée s’est déversée dans les plaines de l’Ukraine et a créé la mer Noire. Un déluge local qui a laissé la mémoire d’un déluge universel et que les hommes ont voulu habiller de sens. La Bible va en faire une punition, Ce qui m’intéresse c’est de montrer la machine à interpréter qu’est l’être humain. Chacun des livres sera centré sur un événement charnière qui sera resté dans l’imaginaire collectif, le déluge ici, la destruction de la tour de Babel dans le tome suivant. L’homme prend charge de l’homme à partir du déluge. Noé, c’est la figure de l’homme qui prend charge de la communauté. Et des animaux, et de tout ce qu’il y a sur la terre, ce qui instaure la domination de l’homme. 

 

Noam est un héros malgré lui, non ? 

En effet, il n’a pas de dimension héroïque, mais son sens de la responsabilité et de l’engagement vont le transformer un héros, et il sera le premier à rire de ce que l’histoire va faire parfois de lui. Noura, elle, ce n’est pas une femme, c’est mille femmes, elle est une chose et son contraire, un cliché et l’inverse du cliché, et ça, c’est passionnant. Je pense que Noam a la distance d’avoir traversé tout ça. Je l’ai beaucoup construit à partir de moi. Il est très proche de moi. Y compris dans ses considérations historiques, très souvent ironiques, parce que cette dis- tance, je crois lui fait du bien, elle est une façon d’être au monde. J’allais être avec lui pendant des années et 5.000 pages, dès lors je ne pouvais pas tricher avec lui. 

 

 

 

 

 

 

 

 

JEAN-CLAUDE VANTROYEN

Le Figaro - « Un roman magistral. »

LORSQUE Milton composa son célèbre poème Le Paradis perdu , l’homme était aveugle. Il écrivait, rectifiait et relisait son histoire à l’aune de sa mémoire. Si Chateaubriand, qui traduisit l’ouvrage, ne manqua pas de louer ce « prodigieux effort de souvenir » il le fit plus encore de sa plume incantatoire et divine. Le génie poétique, du grec poiesis , « création», était en effet essentiel pour raconter la genèse du monde et quatre siècles après l’épopée de l’Anglais. 

Éric-Emmanuel Schmitt n’a rien perdu de ce souffle épique. Il publie Paradis perdus , un roman magistral, le premier d’une octalogie dont le projet cosmogonique est né il y a trente ans. 

On s’en doute, au vu de ce défi titanesque, le temps est au cœur de l’ouvrage. Comme chez Milton, l’histoire du monde et la mémoire du monde ne font qu’un. Ainsi, en remontant aux origines d’une vie – et non de la vie, parce qu’il n’est pas question ici d’Adam et Ève -, Schmitt peut réécrire ce qui nous tient lieu de mythe et de récit communs. Plus qu’une bible païenne et panthéiste, pointillée d’astérisques scientifiques, religieux et philosophiques, ce recueil se parcourt donc comme un véritable roman d’aventures. 

Un présent infernal

Tout commence par un frisson. Un homme de 25 ans se réveille. Alors qu’il se lève, son crâne heurte la paroi d’une grotte. Sommes- nous à la préhistoire ? Non, le voilà qui sort un briquet. Quelques instants après, l’étranger se fond dans la foule à Beyrouth. Qui est-il ? De lui, pour l’instant, on sait qu’il se nomme Noam et qu’il ne pense qu’à « Elle». Qui ? On ne sait pas non plus. 

 

Les pages se tournent ainsi, dans ce mystère, tandis que des jeunes battent le pavé contre le réchauffement climatique. « Durant son hibernation, l’insouciante humanité a provoqué son extinction. » Noam sent que d’ici peu le monde n’existera plus. Est-il donc un collapsologue ? Toujours pas. Mais alors qu’un incendie dévore le paysage, Noam se met à écrire son histoire. En dieu dans son texte, Schmitt ne laisse rien au hasard. Il fallait un décor « apocalyptique », du grec « révélation de Dieu », pour que Noam dévoile le récit de la Création. Ainsi s’ouvre la première partie d’après la mémoire de son créateur. L’homme qui écrit a 8000 ans. « Quand l’écriture fut inventée, j’avais déjà 4 siècles. » Peu expansif sur son enfance – il est le fils du chef de village, Pannoam, à qui on donna à ses 13 ans une femme - il en arrive vite au sujet de son livre : « Elle » , c’est-à-dire Noura. Celle qui fit qu’il s’opposa pour la première fois de sa vie au père. 

À compter de là, Schmitt construit son intrigue tragique - et biblique. L’amour fait naître la liberté et avec elle la révolte. Faut-il y céder ? À travers son récit se découvre un autre monde pétri de croyances, vivant en respect de la Nature et des Esprits qui la com- posent. Mais bientôt, tout va changer avec le Déluge... Noam-Noé se rappelle ces jours passés, ses chagrins et ses regrets. Quand nous revient cette phrase de Dante : « Il n’est pas de plus grande douleur que de se souvenir des temps heureux dans la misère. » Depuis l’âge de pierre, Noam vit dans un présent infernal. Que lui est-il arrivé ? Est- il le seul à vivre éternellement ? Vite, la suite ! 

Alice Develey

Le Matin (Suisse) - « Passionnant »

Un homme se réveille nu dans une grotte. Il ne sait ni où il est, ni à quelle époque il se trouve. Sorti de son trou, il comprend qu’il débarque à Beyrouth dans les années 2010, découvre avec fascination les téléphones portables, les crises climatiques, la télévision, internet. Il s’appelle Noam, il est immortel, guérisseur, il a vécu au sein de plusieurs civilisations au cours du temps et s’apprête à nous raconter son histoire. Une très longue histoire, qui commence il y a 8000 ans, au temps de conflits entre les Chasseurs et les Sédentaires de la fin du néolithique, et qui se terminera dans 5000 pages, ou huit tomes de plus de 500 pages chacun, au XIXe siècle des Révolutions industrielles.

Entre temps, Noam nous aura raconté Babel et la civilisation mésopotamienne dans “La porte du ciel”, à paraitre en octobre de cette année, puis l’Egypte des pharaons, la Grèce antique, Rome et la naissance du christianisme, l’Europe médiévale et Jeanne d’Arc, la Renaissance et la découverte des Amériques. A chaque époque, il retrouvera son alter ego au féminin Noura, belle femme imprévisible et fascinante dont il est tombé irrémédiablement amoureux lorsqu’il était fils d’un chef de village lacustre au bord d’un lac devenu mer.

Dix mille ans d’histoire en roman

Cela fait trente ans qu’Éric-Emmanuel Schmitt porte en lui sa saga, massant connaissances historiques, scientifiques, religieuses ou médicales, relisant la Bible ou “L’épopée de Gilgamesh”, bâtissant mille fois l’architecture de son cycle, porté par une seule et grande ambition: raconter l’histoire de l’humanité sous la forme d’un roman.

Ce qui pourrait paraitre présomptueux - tout Eric-Emmanuel Schmitt qu’il est, détient-il vraiment la vérité sur dix mille ans d’histoire du monde? - arrogant - même Balzac ou Zola, en une centaine de livres de la “comédie humaine” et en vingt romans des “Rougon-Macquart”, ne prétendaient raconter l’un que la société du XIXe siècle et l’autre l’”Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire - ou désuet - a-t-on besoin d’un romancier pour comprendre l’Histoire? - se lit comme une agréable et plaisante surprise.

Tourner les pages de “Paradis perdus”, premier tome de “La traversée du temps”, donne l’impression de s’embarquer à bord de l’Orient-Express pour un long voyage confortable, avec service personnalisé et champagne à l’accueil. Tout, à bord de cette saga, est fait pour que nous nous sentions à l’aise: la plume alerte et expérimentée du romancier et dramaturge à succès du “Visiteur”, “Oscar et la dame rose” ou “l4Evangile selon Pilate”, sa passion évidente à nous raconter cette histoire, des héros attachants, l’attrait irrésistible pour les machines romanesques à remonter le temps, et l’impression flatteuse d’apprendre tout en se divertissant.

Une humanité magnifique.

La méthode Schmitt est ici portée à son apogée: incarner les grandes questions philosophiques, sociales et psychologiques à travers un certain nombre de personnages clés. Notre rapport à la nature, la complexité des liens amoureux et familiaux, ce que le progrès amène aux hommes et ce qu’il leur fait perdre, l’automatisation des individus par rapport aux groupes, les racines du racisme, les balbutiements du commerce, le rapport à l’invisible et aux divinités, la perception de nos propres émotions: Noam, dans ce premier roman, notre ancêtre à tous, mais aussi son père Pannoam, le géant Barak, sa femme Mina, son fils Cham, Noura son amour impossible, personnifient ces questions avec une grande humanité. Cette humanité magnifique qui est marque de fabrique de l’écrivain belge depuis ses premiers livres dans les années 1990, et qui a tant contribué au lien unique qu’il entretient avec son public.

Comme le dit le sage Tibor à Noam - et l’on croit entendre Eric-Emmanuel Schmitt nous confiant le grand secret de la Vie: “ Tous les vivants sont des survivants, Noam. Les vivants ont survécu à la naissance, aux maladies infantiles, aux famines, aux tempêtes, aux luttes, au froid, au chagrin, à la séparation, à la tristesse, à la fatigue. Les vivants sont possédés par la force d’avancer.”

Isabelle Falconnier

L'Orient - Le Jour (Liban) - « Une aventure humaine admirablement architecturée et contée avec talent. »

Roman, essai, récit initiatique ou conte fantastique ? L’écrivain français signe tout cela à la fois dans ce phénomène littéraire édité chez Antoine à un prix spécial Liban.

Paradis perdus (563 pages, éd. Antoine), le nouveau roman au titre miltonien d’Éric-Emmanuel Schmitt, est le premier opus d’un cycle de huit tomes groupés sous la désignation de La Traversée des temps qui s’étendra sur les années à venir. Et, grâce aux éditions Antoine, il est disponible avec « un prix spécial Liban » (à l’instar du nouveau Amin Maalouf, Nos frères inattendus). Ainsi les lecteurs libanais, placés sous la dictature de la paupérisation et de la chute vertigineuse de la monnaie nationale, ne resteront pas les exclus de la culture. Pour le dire aussi autrement, l’hyperinflation n’aura pas le dernier mot quand le mot est ici roi ! Gros pavé inclassable, cet ambitieux chantier littéraire embrasse à la fois la littérature, la philosophie, l’histoire et les intermittences du cœur. À soixante et un ans, le prolifique auteur, dramaturge, réalisateur et comédien franco-belge aurait porté ce projet titanesque plus de trente ans dans son cœur et son esprit : raconter l’histoire de l’humanité sous une forme purement romanesque, entrer dans l’histoire par des histoires. 

Et pour lui, l’humanité telle qu’elle est aujourd’hui s’est constituée il y a 8 000 ans, à 18 km de Beyrouth – aujourd’hui ville agonisante et décomposée –, dans la grotte de Jeïta. Mais l’auteur d’Oscar et la dame rose ne la voit pas de cet œil, bien qu’il lance plusieurs piques sur son électricité plus que boiteuse et les forêts de groupes électrogènes dangereusement polluants, en supplément à son alimentation défaillante. 

C’est dans une cité lacustre où fleurissent stalactites et stalagmites que naît à la vie, à 25 ans, après un long sommeil, Noam l’immortel. Comme dans le cillement de deux paupières, se dessine la grotte de Jeïta entre ombres et lumières. 

Noam le narrateur, personnage fictif et témoin du passé et du présent, après le premier frisson au contact de la terre (il se heurte la tête aux parois de la grotte), dans un paysage d’Éden entre végétation, mer, rivières, montagnes et vallons, s’élance vers l’univers. Pour retrouver celle qui habite son cœur et ses sens. Tourne alors cet étourdissant carrousel d’une prodigieuse quête qui a toutes les allures de la frénésie, de la sagesse, du savoir, de la sensualité, de l’altérité, de la découverte. Un événement va venir bouleverser sa vie, il se mesure à une calamité naturelle : le Déluge ; il devient immortel. Et Noam-Noé entre dans l’histoire de l’humanité. Il nous conte la traversée des temps. Sera-t-il le seul à parcourir les époques ? 

EES a tout d’un indomptable magicien et ses Paradis perdus sont un peu comme la trame insaisissable des Mille et Une Nuits qui ne peut être enfermée dans une fiole et se laisser raconter en une seule fois… Alors le lecteur plonge dans cette narration échevelée, dans cette histoire universelle qui prête beaucoup aux riches et aux chefs qui dirigent (curieuse constatation dans ce premier volume) et où la belle Noura, héroïne et élue de cœur du protagoniste (qui parle plus de vingt langues !), est décrite à outrance dans ses atours somptueux, robes et chaussures inclus. 

La part belle aux filles d’Ève 

Par ailleurs, les bons sentiments débordent avec une brochette de personnages, surtout féminins, admirablement décrits. Et il semble que dans cet ouvrage palpitant de vie, la part belle revient surtout aux filles d’Ève, procréatrices et inspiratrices. D’abord cette intrigante et envoûtante Noura. Ensuite une savoureuse brochette de portraits féminins mais aussi masculins, personnages touchants, vifs, drôles, avec des noms aux musiques étranges : Tibor, Ponnoam, Mina, Barak, Derek, Tita… Ainsi que la présence d’Elena, une mère rayonnante. Comment en serait-il autrement quand EES avait une dévotion particulière pour sa propre mère et l’a magnifiée avec plus d’un livre et à plusieurs occasions ! 

Les tribulations en cette ère du néolithique sont sans frein sans être totalement à l’état de nature… Car la civilisation contemporaine avec ses téléphones portables, ses buildings, son rythme trépidant s’incorporent dans ce récit ahurissant de virtuosité de zooms, de télescopages d’époques et surtout de connaissances.

De l’amour à la jalousie en passant par la paternité, la vie dans sa complexité et ses paradoxes, se déroule au sein d’une nature certes somptueuse et vierge, mais aux allures de fausse jungle exubérante. Car l’auteur y insère des réflexions sur les éoliennes, les origines de l’aspirine, de l’hygiène buccale… avec tant d’acuité, de (im)pertinence et d’à-propos ! 

Autant de sujets déroutants, voire surprenants, pour mêler culture, connaissance, savoir et même érudition à la poésie d’une nature nue, majestueuse, souveraine, consolatrice et amie des hommes quand on sait l’écouter et la respecter. Une nature aussi dispensatrice de nourriture et de sagesse immémoriale... 

La navette entre le plus lointain des passés et la modernité, combinée en une savante et subtile interaction, n’est jamais rompue. Et c’est cette originalité qui caractérise cet ouvrage qui sort du rang. Inutile de souligner la beauté, la fluidité, la précision et la maîtrise d’une langue incomparable qui ne faiblit et ne fléchit à aucun instant. 

De bout en bout, ce chantier magistral et ambitieux, entamé en toute allégresse, est à accueillir avec déférence, volupté et plaisir. Surtout pour réapprendre à renouer avec les cycles romanesques intemporels inédits qui donnent des informations tous azimuts, des leçons de vie et surtout l’ébouriffante exaltation d’une traversée humaine… 

Happant et propulsant le lecteur hors du ronron romanesque familier, voici une histoire universelle qui casse les codes de la narration conventionnelle, cravache l’imaginaire et nourrit l’esprit à travers de multiples voix et la superposition de diverses strates de civilisations. Entre réflexions, passions et une insondable somme de connaissances, Paradis perdus est une aventure humaine admirablement architecturée et contée avec talent. 

Dire qu’on attend la suite est sans nul doute un pâle euphémisme ! 

« Paradis perdus », tome 1 de « La Traversée des temps » d’Éric-Emmanuel Schmitt (564 pages, éd. Antoine).

 

 

 

Edgar Davidian

Le Pèlerin - « Un auteur qui explore hier pour mieux éclairer aujourd’hui. »

Avec La traversée des temps, Éric-Emmanuel Schmitt entame un grand cycle romanesque. Son nouveau défi ? Raconter l’histoire de l’humanité à travers les pérégrinations d’un héros immortel. Rencontre avec un auteur qui explore hier pour mieux éclairer aujourd’hui. 

 

À l’heure où la Covid-19 nous fragilise, vous mettez en scène un personnage immortel. Quelle chance il a de ne craindre aucun virus ! 

En êtes-vous bien sûre ? Si j’en crois Noam, mon personnage, c’est plutôt un poison, une malédiction ! Le sens de la vie, ce n’est pas d’en arrêter la course mais de la transmettre. Voir vieillir et mourir ceux que l’on aime, disparaître ses propres enfants est une terrible souffrance. Et puis la longévité de Noam dérange ses semblables, empoisonne sa relation à autrui. Rongé par ce secret, il est contraint à l’errance. Sa singularité le condamne à une solitude radicale 

 

De cette contrainte, votre héros fait une force. 

La différence de Noam l’oblige à se poser des questions, à se mettre en marche. Les lecteurs du Pèlerin connaissent ce mouvement de l’âme, cette quête intérieure. Au fil de son itinérance à travers les lieux et les époques, Noam va accumuler les savoirs, devenir guérisseur. Condamné à l’immortalité, il cherche le secret de la vie pour les autres. 

 

Pourquoi avoir créé ce héros immortel, né il y a huit mille ans ? 

Pour raconter, à travers lui, l’histoire de l’humanité. Noam passe de la société du chasseur-cueilleur à celle du sédentaire, il voit naître l’écriture, l’économie, s’élaborer les religions, les systèmes politiques, les inventions scientifiques, les arts, grandir et chuter les civilisations. Il ressemble aux voyageurs persans de Montesquieu qui posaient un œil neuf sur la France en la visitant au XVIIIe siècle. 

 

 

Noam-Noé – vous jouez sur les prénoms – va se mesurer à une catastrophe biblique : le Déluge. 

Et y échapper en sauvant les siens et les espèces. Le Déluge, c’est la dernière grande colère de Dieu dans l’imaginaire collectif véhiculé par la Bible. Je ne nie pas les autres fléaux, encore moins celui que nous traversons actuellement. Mais ni Babel ni les dix plaies d’Égypte ne possèdent la puissance symbolique du Déluge. Les hommes se sont rassemblés autour de ce récit. 

 

Un récit fondateur perpétuellement renouvelé... 

Ce récit est constamment réécrit par les théologiens et les scientifiques. Ces derniers ont découvert en 1993, sous la mer Noire, des fossiles très anciens de plantes et d’animaux d’eau douce. Et émis une hypothèse intéressante : à la fin de l’ère glaciaire, la fonte des glaces a relevé le niveau de la mer, fait céder le barrage du Bosphore et englouti un immense lac – au bord duquel vivait Noam – et les plaines alentour. Le déluge n’a pas été universel, mais local. En l’absence d’écriture, ce cataclysme a traversé le temps, déformé, amplifié pour nous parvenir, fabulé. 

 

Revenons à Noam qui assiste à la spécialisation de l’homme. Pourquoi le fragilise-t-elle ? 

Noam, qui se suffit à lui-même – il sait se nourrir, s’habiller, se loger, se soigner – découvre des communautés sédentaires, complexes, où les travaux sont divisés, les savoirs morcelés. Où celui qui s’occupe du bétail ne sait plus chasser ni tisser. Les compétences pointues de chacun aug- mentent au détriment de l’autonomie individuelle. Les hommes se mettent à dépendre les uns des autres, et sont condamnés à la vie collective. 

 

Incapacité à s’auto-suffire, dépendance économique... les dérives que pointe votre héros, il y a huit mille ans, préfacent étrangement la crise que nous traversons. 

Hier peut-il éclairer aujourd’hui ? 

Je le crois. Dès la fin de la préhistoire, Noam signale le danger de cette dépendance organisée, le risque encouru à modifier les paysages, à brûler, quadriller la nature, à transformer les espèces. L’homme passe, sous ses yeux, du statut d’invité du monde à celui de dominant. Beaucoup de nos problèmes viennent de cette volonté de puissance. Nous nous croyons au-dessus de la nature, détruisons le paradis en voulant le domestiquer. Pour survivre aux cataclysmes, il nous faut respecter le vivant. 

 

Vous avez terminé le manuscrit de Paradis perdus, juste avant le premier confinement et la fin « du monde d’avant ». Les artistes ont-ils des antennes ? 

Les artistes ont des tympans qui vibrent aux rumeurs du monde. Un écrivain capte, malgré lui, les peurs et les incertitudes de son époque et en fait quelque chose qui lui échappe. Un artiste n’est pas un créateur mais un interprète : c’est une grande oreille qui organise les sons qu’il a perçus. Oui, le confinement commence quand j’écris la dernière ligne de Paradis perdus. Ne me demandez pas pourquoi j’aborde le thème du Déluge quand la pandémie nous submerge, j’en suis le premier surpris. 

 

Raconter cette traversée des temps, c’est un projet colossal ! Quand l’avez-vous conçu ? 

Je réfléchis à cette saga depuis l’âge de 25 ans. Je terminais ma thèse sur Diderot, fasciné par son savoir encyclopédique. J’étais assistant en philosophie à l’université de Besançon, ville que je situais à peine sur une carte. Et dans un train qui me menait dans le Doubs, un train mystérieux, semblable à celui qu’emprunte Harry Potter pour se rendre à Poudlard, j’ai imaginé ce personnage de guérisseur immortel qui traversait le temps, un homme qui raconterait et éclairerait l’histoire de tous les hommes. Mais j’étais tétanisé par l’ampleur de la tâche. Il fallait d’abord que je sédimente ce que j’avais appris, que mon savoir passe par le filtre de la vie. Du point de vue artistique, je m’en suis donné les moyens. Chacun de mes livres était une fin en soi, bien sûr, mais aussi une façon d’élargir ma palette, d’expérimenter ce projet. Mon Cycle de l’invisible et l’exploration des religions, L’Évangile selon Pilate, La part de l’autre... Tout mon parcours d’écriture m’a mené à ce grand cycle de l’histoire de l’humanité. 

 

Ce projet de la maturité réunit vos talents de conteur, de philosophe et votre passion de la pédagogie. Car vous nous faites réviser nos fondamentaux. 

J’ai souhaité partager mes connaissances philosophiques, scientifiques, religieuses avec mes lecteurs. Mes notes d’auteur sont très présentes dans ce cycle : elles éclairent les pérégrinations de Noam, donnent les clés de lecture des périodes tra- versées, des repères chronologiques, pro- posent des mises en perspective. Je les ai maintes fois vérifiées, réécrites, ciselées. Même si elles sont très documentées, elles débordent de clins d’œil et d’humour ; le lecteur devient mon complice, chemine, se cultive, s’interroge à mes côtés dans cette traversée des temps. 

 

Vous aimez parler au plus grand nombre, rendre le savoir accessible à tous. Vous définiriez-vous comme un auteur humaniste ? 

Un écrivain humaniste au sens où je fais miennes les différences. Où je tente de rendre tout homme proche de celui qui ne lui ressemble pas. Mes romans sont habités par une même passion de l’humanité et de la nature, indissociables à mes yeux. Nous sommes tous traversés par les mêmes doutes, les mêmes questions. Tous responsables du vivant. 

 

Des questions qui, sous votre plume, conduisent à celles de Dieu et des religions ! 

Car les religions sont humanisantes. Toutes ne conduisent pas au divin mais toutes ramènent à l’homme, ce bipède sans plume qui doit dépasser l’égoïsme de son corps, se décentrer de ses besoins premiers pour accéder à l’altruisme. Être humain n’est pas un acquis, c’est un projet, et les religions dessinent un modèle à atteindre. La plus romantique de toutes étant la religion chrétienne qui place l’amour au centre : l’amour, ce sentiment irrationnel capable de changer la face du monde. Noam qui naît bien avant l’arrivée des religions est révélé par l’amour. L’amour de sa mère auquel il doit la vie, l’amour de Noura auquel il doit son identité. L’amour est le catalyseur de son évolution. 

 

À quand le tome 2 et où nous mènerez-vous ? 

En septembre prochain, Noam nous entraînera à Babel au cœur de la civilisation mésopotamienne. 

 

On brûle déjà de connaître la suite ! 

Il faut me laisser le temps de l’écrire. D’ici là, incitez vos lecteurs à lire. Ne serait- ce que le superbe prix Goncourt dont notre jury est si fier [Éric-Emmanuel Schmitt fait partie du jury, NDLR]. Lire est un antidote à l’épreuve que nous traversons. Nous manquons d’horizon ? La littérature offre un espace vital pour se reconstruire. Elle propose du sens, ordonne le monde, et en même temps, elle n’est pas didactique. Un livre ouvre des portes, des perspectives : aussi prenant que soit un récit, on ne le lit jamais sans penser à autre chose, sans se recomposer, se relier. Lire permet de se renouveler, de faire provision de rêve et de forces pour se redresser. 

Catherine Lalanne

Le Journal du Dimanche - « Ce roman, je m'y suis préparé toute ma vie. »

Anna Cabana

La vie - « Une passionnante manière de revisiter les récits fondateurs. »

L’écrivain et philosophe Éric-Emmanuel Schmitt se lance dans une grande histoire romanesque de l’humanité en huit tomes, « la Traversées des temps ». Une passionnante manière de revisiter les récits fondateurs.

 

Comment vous êtes-vous saisi des grands récits des origines ?

C’est le cœur de mon projet. Les hommes se sont toujours rassemblés autour de fictions. Le véritable ciment d’une société, ce sont les fictions auxquelles on adhère : des mythologies, des récits fondateurs, des religions, des idéologies. Fiction ne veut pas dire mensonge, mais organisation du sens. La fiction est l’interprétation des faits, pas leur négation.

C’est cette interprétation qui m’intéresse. Le consentement à partager une fiction met les humains ensemble. Mon projet romanesque est de raconter ces fictions majeures, pour exposer les ressorts de l’humanité. J’ai façonné un personnage qui va traverser les âges et les cultures, Noam, dont le nom est proche de celui de Noé, ce qui facilite mon dispositif narratif.

Je dis aux lecteurs dans le premier tome : regardez, je vous déroule l’histoire de Noam et du Déluge, que la Bible raconte, mais en la déformant. Même chose dans le deuxième tome avec l’épopée de Gilgamesh en Mésopotamie : j’explique en quoi et pourquoi elle tord l’histoire de Noam… À partir de là, j’invente mon « vrai » récit fondateur : comme si je donnais la vérité factuelle. Ce qui me permet ensuite de montrer comment on fabrique un mythe : le roman est un révélateur.

N’est-ce pas à l’aune de la science que vous éclairez chaque récit fondateur ?

Je pense que la science est la fiction d’aujourd’hui… Le Déluge, qui n’a jamais cessé de fournir des histoires, produit depuis les années 1990 un récit scientifique : celui du débordement de la Méditerranée dans un lac qui a créé la mer Noire. La science est un récit tel qu’on les aime à la période actuelle : la fiction qui rassemble nos contemporains.

Dans mon livre la Nuit de feu, j’ai raconté comment nous nous sommes retrouvés dans le désert en compagnie d’un astronome qui, à la veillée, nous expliquait la formation de l’Univers, les étoiles, le big bang.

J’ai pensé que 200 ans ou un millénaire plus tôt, on aurait raconté d’autres histoires. Mais de tout temps, on a disposé d’un récit qui réunissait les hommes en cercle autour d’un feu en leur offrant du sens quand ils levaient la tête. L’homme est un être de récit. Et je ne crois pas que la science soit notre récit ultime et définitif.

Qu’est-ce qui relie, selon vous, tous les récits fondateurs ?

Les humains sont depuis toujours habités par les mêmes questions mais n’apportent pas les mêmes réponses. Ce qui me passionne, c’est de remonter sans cesse au cœur de la question, dans sa plaie ouverte. Nous sommes frères en questions, nous ne le sommes pas en réponses : nous sommes différents et même parfois ennemis.

Les réponses nous spécifient, nous divisent, nous opposent. Mais, en revanche, on peut se rassembler sur la question. Je prône un humanisme de la question. Noam est témoin à travers les âges de la façon dont les hommes répondent différemment à la question du sens de la vie.

Son regard est bienveillant, il n’a pas de préjugé, il avance les bras ouverts. Il considère les spécificités de chaque époque, de chaque religion, de chaque spiritualité. Pas pour les descendre en flèche, mais pour raconter comment elles approchent avec des mots l’indicible. On rejoint Bergson : toutes les religions sont des manières de dire ce qu’on ne peut nommer, le cœur mystique, le cœur de feu. Il faut bien trouver des façons de ritualiser, d’institutionnaliser.

Noam est un héros qui porte l’étonnement philosophique. Platon affirmait que la première capacité du philosophe est celle de s’étonner. Noam promène son regard sur notre épopée humaine, avec toutes ses inventions. Mais il n’a pas l’œil sceptique, ni indifférent, ni moqueur. Noam est une sorte de Persan de Montesquieu qui traverse l’Histoire.

On pense aussi à l’esprit encyclopédique de Diderot…

À l’École normale supérieure, j’ai passé l’agrégation de philosophie sous la direction de Jacques Derrida, avant de faire ma thèse de doctorat sur… Diderot. J’avais déjà cette passion encyclopédique que je rêvais depuis 30 ans de mettre au service du roman. Une technique pour faire du pain est aussi intéressante qu’une presse d’imprimerie. Je peux écrire une note sur l’ours aussi fouillée que sur la philosophie politique. Voilà l’esprit de l’Encyclopédie de Diderot : pas de hiérarchie des savoirs ni des techniques.

Noam raconte comment l’humanité s’est constituée, car elle est un produit de l’Histoire. Une fourmilière n’a pas changé depuis 100 000 ans, alors que les sociétés humaines n’ont pas arrêté de se métamorphoser depuis qu’elles existent. J’ai eu l’idée d’un héros médecin qui franchirait les siècles avec un double impératif : trouver le secret de la vie pour les autres et le secret de la mort pour lui-même. Il va se rendre compte petit à petit qu’il est terrible d’être immortel…

Est-ce l’épopée de Gilgamesh ou l’histoire du Juif errant qui vous a inspiré ?

Il est vrai que la figure du Juif errant était déjà une manière d’emprunter ce chemin. Mais j’ai toujours été frappé aussi par l’âge qu’on donne aux patriarches dans l’Ancien Testament. En grand lecteur de la Bible, ça m’a poussé à l’audace… Je dois préciser que j’ai choisi le titre du premier tome, Paradis perdus, bien avant le confinement, mais il a pris soudain une telle résonance !

L’idée était que le lecteur suive un personnage du néolithique et se rende compte que celui-ci a de la chance : il fait partie de la nature, il ne se considère pas au-dessus. L’animisme est une pensée qui met de l’esprit partout. Alors que l’esprit a ensuite été réservé à l’humain.

À partir du moment où l’homme a estimé qu’il était le seul à penser, il est devenu « maître et possesseur de la nature », comme le formulait Descartes. Et aujourd’hui, nous vivons dans un monde à la nature blessée, injuriée, détruite par la présence humaine. Le Déluge a été le dernier avertissement de la nature à l’homme. Ensuite, c’est l’homme lui-même qui sera à l’origine des déluges.

Le paradis, c’est donc le bonheur au néolithique ?

Il y a cette adéquation magique de l’homme qui se considère comme hôte parmi les hôtes de la nature, sans statut supérieur ni statut d’exception : oui, quel bonheur de penser ainsi ! Par ailleurs, l’autonomie de nos ancêtres représentait une force : Noam sait tout ce qu’un homme de son époque peut savoir : faire du feu, coudre des vêtements, chasser, manger une plante et pas telle autre… Il est dans un temps du savoir partagé.

Plus l’humanité va se diviser ensuite dans le travail et se spécialiser dans les connaissances et les techniques, moins les hommes les mettront en commun. Au fond, nous sommes aujourd’hui plutôt dans un temps d’ignorance partagée. La spécialisation préserve ceux qui ne savent pas faire beaucoup.

À cet égard, Noam donne une définition plutôt féroce de la civilisation : « elle a permis la survie des génies et des crétins. Le crétin n’est bon à rien, le génie à une seule chose »…

Il faut s’interroger sur le progrès. Nous vivons désormais dans une interdépendance qu’exacerbe encore la pandémie. Et nous ne pouvons même pas aller vivre ailleurs, comme nos ancêtres ont pu le faire en temps de guerre.

Je ne me suis jamais senti aussi dépendant des autres, je l’accepte et je l’assume avec du respect pour mes semblables. Mais cette interdépendance est irréversible. L’humanité a fait un trajet qui est sans retour. D’où le titre Paradis perdus. Cela dit, plonger dans la civilisation humaine me passionne autant que l’avant-civilisation. Mais je voulais raconter d’une façon forte ce temps que l’on méprise de nos ancêtres, ces époques que l’on imagine d’ignorance et de difficultés.

Nous sommes pleins de préjugés : au néolithique, les hommes avaient de plus belles dents que nous, et ils étaient plus grands car ils ne mangeaient ni céréales ni nourriture industrielle… J’aimerais que le lecteur revienne sur ses a priori.

L’un de vos personnages survit à une amputation de la jambe : était-ce vraiment possible à l’époque ?

Mais oui ! Nous nous flattons en imaginant que nos ancêtres étaient totalement abrutis, on a pourtant retrouvé dans de multiples tombes des preuves d’opérations réussies puisque les os avaient cicatrisé.

On faisait même des trépanations. On a exhumé des squelettes de femmes infirmes, dont la mort était bien postérieure à leurs blessures. On n’abandonnait pas les fragiles, les faibles, les handicapés, qui étaient intégrés dans le clan et les familles.

Vous racontez l’épopée de l’aspirine, remontant à l’écorce de saule…

En fait, on sait beaucoup plus de choses sur la chirurgie au néolithique, grâce aux ossements, que sur l’utilisation des drogues, dont les traces ont disparu. Ce qui m’a amusé, c’est de montrer un savoir ancien qui était acquis grâce des modes de raisonnements très différents des nôtres.

La rêverie, l’hypnose par les plantes, les esprits, étaient sources d’enseignement. Des connaissances étaient obtenues par des moyens « extrarationnels ». Comment ne pas rappeler qu’en épistémologie l’hypothèse est toujours le moment irrationnel d’un processus rationnel !

Votre roman expose finalement les constantes de l’humanité…

J’ai voulu saisir tout à a fois les variants et les invariants. D’un point de vue anthropologique, ce qui fait l’homme, ce sont les questionnements, l’énergie rassemblée pour survivre, mais aussi l’angoisse. Et je suis tout autant intéressé par les variations que l’homme introduit en inventant son histoire, en passant du statut de chasseur-cueilleur à celui de sédentaire, avec le Déluge, on a la bascule vers un monde où l’humain décide de quitter la cité lacustre, de s’installer sur la terre ferme en ne demeurant plus l’hôte de la nature mais en s’érigeant en dominateur. Il y aura ensuite l’invention de la ville en Mésopotamie, avec les classes sociales et aussi l’esclavage.

On sent votre tendresse particulière pour le personnage de l’oncle de Noam, Barak, qui est resté nomade et montre par ailleurs un certain sens de l’humour…

Barak s’est lui-même exclu du village, il est le bon sauvage comme le considère Rousseau. Le philosophe dit : c’est la propriété qui a créé l’envie et les maux de la société. Barak ne possède rien, il vit en pleine nature. Du coup, il n’est pas dans l’envie, et n’a même jamais voulu reprendre à son frère la femme aimée. Il a la capacité de rire de ce dont on pourrait pleurer.

Le propre de l’homme, c’est d’avoir une conscience à distance des choses. L’être humain n’est pas comme un sucre qui fond dans le réel, il s’en décolle par sa conscience. L’homme est un animal doté de questions. L’humour fait partie des soulagements et des guérisons quand la question s’avère trop sensible ou trop aiguisée. Humour et sagesse permettent d’habiter les questions, de les supporter quand elles sont sans réponse.

Quelle est pour vous la seule vraie grande question ?

Je dirais : pourquoi ? Pourquoi la vie ? Pourquoi la vie existe-t-elle, avec la mort au service de la vie ? Puisque les individus meurent pour que l’espèce continue. Donc le but de la mort est toujours la vie : pourquoi cette force qui nous fait et nous défait, pour nous refaire ensuite d’une autre façon ?





Marie Chaudey

L'Echo Républicain - « Un formidable moment d’évasion, poétique et intelligent »

Le premier tome de sa Traversée des Temps vient de paraître. Paradis Perdus se passe à la fin de la préhistoire et se termine avec le Déluge. Son héros, au nom évocateur de Noé, s’appelle Noam. 

Eric-Emmanuel Schmitt travaille à ce projet titanesque depuis 30 ans. 

Comment est né l’idée de ce projet  ? 

« Elle m’a traversé de manière fulgurante à 25 ans.

Après de longues études où il n'était possible que de lire qu’à des fins utilitaires, je retrouvais le plaisir de la lecture, de la littéraure. Je finissais mon doctorat. J'étais maître de conférence à Besançon. Je lisais Yourcenar et d'autres. Tout à coup, j’ai été traversé par l’idée d’un personnage qui traverserait le temps. Il nous raconterait les glissements, les révolutions, les événements, les traumatismes qui ont fait l’humanité.

J’ai tout de suite imaginé qu’il serait immortel et médecin, pour deux raisons. Traversant les époques, il chercherait le secret de la vie pour les autres et de la mort pour lui car on va découvri, au fur et à mesure des romans, qu’être immortel parmi les mortels n’est pas un cadeau. »

Le transhumanisme rend la question de l’immortalité très actuelle. Qu’en pense le philosophe que vous êtes aussi ? 

« Si les individus meurent, c’est pour que la vie continue. L’important, c’est l’immortalité de la vie plutôt que celle de l’individu. Noam, mon immortel, est dans la perte de sens. L’immortalité lui amène solitude, crainte de l’attachement et fuite perpétuelle pour cacher ce qu’il est aux mortels. Il y a des aspects positifs. Il développe une intense curiosité des humain et du monde. Cette fuite, ce sont aussi des rencontres. Mais l’immortalité est un très lourd destin. En écrivant ces livres, j’essaie aussi d’apprivoiser ma propre mortalité. »

Envie d’être immortel ? 

« Non. Après l’avoir souhaité ardemment, j’ai fini par accepter la condition humaine qui est mortelle. En l’acceptant, je vis intensément. Surtout, je ne veux pas la mort de ceux que j’aime. J’ai l’amour inquiet car je crains toujours pour eux. Mais il n’y aurait pas d’amour sans cette inquiétude, qui est toute sa force et sa vitalité. »

Le transhumanistes veulent erradiquer la souffrance, la vieillesse et la mort. 

« Pur fantasme. »

Ils n’y parviendront pas ? 

« (Rires) Evidemment. Le transhumanisme, c'est de l'anti-vie. »

Quid des cosmogonies qui affirment une vie après la mort ? 

« Pour moi, la mort reste un mystère. Je crois qu’une grande partie de la condition humaine tient au fait d’accepter de ne pas savoir. La sagesse, c’est d’avancer, pleinement, intensément, en n’ayant pas de réponse à des questions essentielles. Et peut-être de répondre en avançant, ce qui est mettre la vie au service de la vie. »

Pourquoi avoir fait commencer l’Histoire au néolithique ? 

« Chaque roman se passe dans un temps charnière. Paradis Perdus se situe avant le Déluge, ce néolithique où la nature est reine. L’homme commence à y mettre sa marque mais de façon discrète. Il se considère encore comme un hôte de la nature, un vivant parmi les vivant.

Il ne se pense pas une exception, un être supérieur. L’humain d’alors est animiste.  Pour lui, il y a de l’esprit partout.  Je le dis sans condescendance, sans mépris. C'est une sagesse.

Ensuite, l'humain se spécialise pour penser aujourd’hui qu’il est le seul à avoir l’intelligence et l’esprit. Dans cette période avant Déluge, son union est sans faille avec la nature, l’univers, le cosmos. Il participe. Il n’est pas dans l’utilisation, la domination. 

La nature va faire entendre sa voix pour la dernière fois avec le Déluge, qui nous fait entrer dans l’Histoire. A partir delà, l’humain prend en charge la construction sociale, les villes, l’élaboration des champs. C’est ce que je raconte dans le deuxième tome qui se situe en Mésopotamie, avec la création de l’écriture, de la ville, de la distinction entre campagne et ville, des classes sociales, des spiritualités de plus en plus liées au politique. »

On sait tellement peu de choses de ce qui précède. Ecrire sur les périodes antérieures aurait sans doute été compliqué. 

« Même pour le néolithique, c’était compliqué. (Rires). Évidemment, j’ai beaucoup travaillé les préhistoriens et les querelles de préshistoriens car il existe beaucoup d’interprétations sur cette période. »

Comment cette oeuvre s’est-elle construite ? 

« J’ai commencé par un travail d’architecture globale, en concevant un roman de 5.000 pages d’emblée. Cela m’a coûté quelques migraines (rires).

J’ai donc conçu un arbre des possibles jusqu’au dernier tome, y compris pour la psychologie de mes personnages, la dramaturgie, les surprises, les coups de théâtre. J’ai passé 25 à 30 ans à concevoir ce roman de 5.000 pages. »

Quand avez-vous commencé à écrire ? 

« Il y a deux ans. Ecrire n'est rien. "Ma tragédie est prête. Il n'y a plus qu'à l'écrire", disait Racine. »

Pas à 25 ans ? 

« Non. Quand j’ai eu cette idée à 25 ans, j’ai immédiatement compris que j’en étais incapable. Alors, c’est devenu un projet de vie. Il s’agissait de me rendre capable au fil du temps d’écrire cet énorme roman. Tous les romans, pièces de théâtre ou essais que j’ai écrits auparavant étaient une fin en soi. Ils étaient aussi l’atelier de ce grand livres, pour acquérir ma technique. »

Du point de vue documentaire ? 

« Cela représente des décennies de lectures et je continue. Le projet de vie à 25 ans était aussi de posséder le savoir qui me permettrait d’écrire un tel roman. J’aurais de toute façon fait ces lectures par goût car j’ai l’esprit encyclopédique. Ce n’est pas pour rien que j’ai fait une thèse sur Diderot. Tout ce qui est humain m’intéresse. »

Dès le premier roman, vous évoquez aussi notre présent. Y-a-t-il urgence à publier ces romans ? À en croire l’horloge de l’Apocalypse* évoquée dans votre livre, nous sommes à quelques secondes de la fin de l’humanité, en raison de la menace écologique, nucléaire, terroriste, des dictateurs...

« Je suis frappé par la démesure humaine. Quand je lis l’Histoire de l’humanité, je vois une boursouflure humaine qui ne cesse de grossir. Notre époque est la première où l’humain prend conscience de manière collective que sa présence est une violence imposée aux autres espèces, à la nature surexploitée qui va devenir exsangue, une violence qu’il s’impose aussi à lui-même.

 L’actuelle pandémie raconte quelque chose sur nos façons de vivre, de circuler, de notre rapport très infantile à la mort. Jamais une telle prise de conscience n’a eu lieu au cours de l’Histoire. Nous sommes peut-être allés trop loin. Cette prise de conscience est le propre de notre époque. Donc, elle est passionnante. »

La pandémie pourrait-elle vous inspirer un livre ?

« Oui, au sens où dans ce que nous vivons, il y a le récit d’une grande peste. Je pense que je pourrais aconter ce que fut la peste pour nos ancêtres parce que je vis cette pandémie. Je vais la métaphoriser mais je l’aurais ressentie authentiquement. La métaphore nourrie par du vécu, c’est plus fort. Alors je métaphoriserais, racontant tout cela à travers la peste et nos ancêtres. Les lecteurs comprendront car ils vivent eux-aussi cette pandémie. Ce partage d’expériences communes, même si elles prennent des formes différentes, crée un lien humaniste avec nos ancêtres. J’aime aussi affirmer et ressentir cela au creux de mon écriture. »

(*) Cette horloge est un instrument d’évaluation du risque. Mise au point par des scientifiques en 1947, elle s’est depuis éloignée ou rapprochée de minuit, l’heure symbolique de la fin du monde.

On a lu le premier tome, Paradis perdus.

Le projet de La Traversée des Temps est de croiser l’érudition d’un historien comme Yuval Noah Harari et la puissance romanesque d’un Alexandre Dumas. Dans Paradis Perdus, voilà qui est réussi.

Dès ce premier tome, l’amorce d’une grande fresque populaire au sens noble du terme s’impose.

Les presque six-cents pages offrent un formidable moment d’évasion, poétique et intelligent, au fil d’une écriture faussement simple. La poésie tient à l’évocation d’une nature sauvage, violente et sublime que l’être humain commence à exploiter au néolithique avec les débuts de l’agriculture et de la sédentarisation.

Ce premier tome présente les trois immortels de La Taversée des Temps, Noam, figure de Noé, la belle Noura, dont il est épris, et le félon Derek. Tous les personnages, immortels ou non, sont bien dessinés, attachants, même si on s’étonne de les voir réagir, penser, et parler comme s’ils vivaient aujourd’hui. Il est vrai qu’ils n’allaient pas grogner... Ils sont fort préoccupés par leurs histoires d’amour, en couple ou filial. Des rapports de pouvoir les amènent à des transgressions violentes, très “shakespeariennes”. Amour et goût du pouvoir, les deux boussoles de l’humanité qui l’ont toujours déboussolée.

Dès ce premier livre, l’auteur peint finement notre présent. Il pointe ainsi les conséquences peut-être fatales pour l’humanité de la course au progrès amorcée voici 8.000 ans. L’ensemble est brillamment documenté. 

7 tomes à paraître, dont le deuxième cet automne, puis un par an

La Porte du Ciel, Babel et la civilisation Mésopotamienne ;
Le Soleil Sombre, L’Egypte des Pharaons et Moïse ; La Lumière du Bonheur, la Grèce du IVe siècle av. J.-C. ; Les Deux Royaumes, Rome et la naissance du Christianisme ; La Mystification, L’Europe médiévale et Jeanne d’Arc ; Le Temps des conquêtes, La Renaissance et la découverte des Amériques ; Révolutions, Révolutions politiques, industrielles et techniques.

 



 

 

 


 

 

Muriel Mingau

Le Journal de Québec - « Phénoménal »

Phénoménal, Éric-Emmanuel Schmitt présente cet hiver le premier tome de Paradis perdus, une œuvre titanesque composée de huit livres, sur laquelle il planche depuis 30 ans. À travers le personnage de Noam, un homme né il y a 8000 ans, l’écrivain fait revivre l’histoire de l’humanité, de la préhistoire à nos jours. Une œuvre épique, ambitieuse, inspirante, s’appuyant sur une quantité phénoménale de connaissances et une maîtrise absolue de l’écriture. 

Noam, un jeune homme mystérieux, se réveille dans notre monde, au fond d’une caverne. Face aux menaces de chaos, effrayé par les dangers engendrés par notre civilisation, il entreprend d’écrire le récit de sa vie. Un récit d’envergure puisqu’il est né il y a 8000 ans, dans un village lacustre, au sein d’une nature généreuse.

Noam a connu le moment-charnière de l’humanité, où les hommes ont cessé d’être des chasseurs-cueilleurs nomades pour se sédentariser. Il connaît les techniques du feu, des vêtements, du combat, de l’agriculture. Il communique avec les animaux et les plantes, mais cherche désespérément l’essence de la vie. En plus, Noam est amoureux d’une femme-déesse, Noura, qui va marquer son destin pour toujours.

Une aventure de 5000 pages

Éric-Emmanuel Schmitt, en entrevue depuis sa maison de la campagne belge, parle avec enthousiasme de ce projet né d’une longue et riche réflexion.

« C’est une aventure, cet énorme roman qui fera 5000 pages, mais c’est aussi un des actes de ma vie puisque j’ai eu l’idée de ce livre à 25 ans, et évidemment, à 25 ans, j’en étais pas capable. J’ai passé une grande partie de ma vie à essayer de me rendre capable de faire ça. Capable en termes de maîtrise de mon art et en termes de connaissances. Ça vient de très, très loin. »

Maintenant, il se rend compte que ça sort sur la page « avec une évidence totale ». « J’ai bien fait d’attendre d’être prêt. »

Paradis perdus comptera donc huit tomes. « J’ai dressé le plan des 5000 pages, comme un arbre des possibles. Je m’autoriserai des changements pour qu’il y ait des surprises et des coups de théâtre tout le temps, jusqu’au bout, et pour voir la ligne psychologique de mes personnages. »

Le projet lui apporte une satisfaction intense. « Vous savez, c’est le bonheur, dans la vie, quand tout d’un coup on fait quelque chose qu’on avait profondément, au fond de soi, décidé de faire. On a l’impression de coïncider avec soi-même. Moi, à 60 ans, je coïncide avec le jeune homme qui avait eu l’idée, mais qui n’était pas capable. Et à 60 ans, je me dis : ça y est, t’es capable ! J’ai l’impression d’être en harmonie entre le jeune homme et l’homme mûr, entre un projet qui est rendu possible par toute une vie d’écriture et de réflexion. C’est un moment assez heureux dans ma vie d’écrivain. »

Rapport à la nature

Se replonger au début des temps, au début de l’humanité, pour l’humaniser avec des personnages en chair et en os, était fort intéressant. « On est totalement en phase avec Noam, dans son récit, et on en vient même parfois à lui envier cette époque, ce rapport à la nature, cette autonomie, alors que nous sommes dans une dépendance totale les uns envers les autres et l’histoire du COVID l’a encore plus montré », fait-il remarquer.

 « Cet âge qu’on juge obscur et sans intérêt avec sa propre sagesse, sa façon animiste de penser le monde, où l’homme était un des hôtes de la nature, parmi les autres hôtes, sans statut d’exception. L’homme ne se pensait pas supérieur et appartenait à un grand ensemble qu’il respectait et qu’il vénérait. 



Marie-France Bornais

France Culture - « L'écrivain aux talents de conteur entame son grand projet littéraire »

"Comme si Yuval Noah Harari avait croisé Alexandre Dumas", l'écrivain aux talents de conteur entame dans ce premier tome son grand projet littéraire : raconter, sous la forme d'un roman, l'Histoire de l'humanité. Il s'est lancé dans ce projet titanesque avec son personnage-narrateur, Noam.

Eric-Emmanuel Schmitt publie La Traversée des temps - Paradis perdus (tome 1) chez Albin Michel (février 2021). Il s’agit du premier tome de son histoire de l’humanité romanesque et épique. Un défi littéraire de taille, qui l'occupe depuis près de trente ans : raconter 8 000 ans d’Histoire en quelque 5 000 pages

Cette histoire narre les aventures de Noam, un personnage qui renaît à chaque époque. Arrivé dans notre monde contemporain, à Beyrouth, il est frappé par la catastrophe climatique et la sensation d'un monde qui arrive à sa fin. L'occasion d'évoquer une de ses vies antérieures où un grand déluge marqua aussi la fin d'une époque et le renouveau... Il décide de prendre la plume et nous raconter ses histoires dans l’Histoire de l’humanité.

Ce personnage est comme un témoin, et parfois un acteur important de notre humanité. Il offre un regard surplombant sur notre Histoire, notant les différences qui marquent les époques, mais aussi les constances de notre humanité. Il observe notre présent avec une distance, une sagesse : combien de fois a-t-il entendu parler de la fin du monde dans les siècles passés.

Olivia Gesbert

Le Point - « Schmitt réussit à nous embarquer dans sa douce folie. »

Victoria Gairin

Aujourd'hui en France - « Réjouissant et instructif! »

L’écrivain publie « Paradis perdus », premier volet de sa « Traversée des temps ». Au menu : 8 tomes, 5 000 pages, huit mille ans d’histoire(s). Réjouissant et instructif.

DANS LA CARRIÈRE prolifique d’Eric-Emmanuel Schmitt, ce livre aura une place à part. Comme une succession de cols hors catégorie sur une étape du Tour de France. Tour de force pour l’écrivain de 60 ans : il entame avec « Paradis perdus », en librairie aujourd’hui, un cycle hors normes baptisé« la Traversée des temps ». Au menu, huit mille ans d’histoire(s) résumés en huit tomes et quelque 5000 pages! Un voyage littéraire, romanesque et érudit, aux côtés de trois héros immortels qui nous feront remonter le temps, slalomant de la Grèce antique à la découverte des Amériques en passant par Jeanne d’Arc. Le premier volet, aussi réjouissant qu’instructif, nous plonge à la fin du néolithique dans les pas d’un Noam qui ressemble au Noé du Déluge, et de Noura, fascinante figure féminine. 

Trente-cinq ans de gestation

Au téléphone, on demande à l’auteur un petit miracle : résumer en une phrase ce projet titanesque. «C’est l’histoire d’un homme qui découvre que l’immortalité n’est pas un cadeau et qui va devenir médecin à travers les âges en cherchant les secrets de la vie 

pour les autres, et de la mort pour lui. » Vaste entreprise née...il y a plus de trois décennies. Eric-Emmanuel Schmitt est alors un jeune agrégé de philosophie de 25 ans. « Je trouvais l’idée passionnante mais j’étais incapable de la réaliser. » Le projet infuse. « Ça a structuré mes lectures pendant des années, c’est devenu un projet de vie.» 

Racisme, conservatisme, égalité femmes-hommes, écologie... Ce voyage dans le temps permet d’éclairer le présent avec le passé. Et vice versa. A la manière d’un Yuval Noah Harari (l’auteur du best- seller « Sapiens »),Eric-Emmanuel Schmitt digère des siècles d’histoire, la vulgarise avec alacrité et y incorpore un rythme de feuilleton à la Dumas saupoudré de tragédie grecque. 

Ce premier volet, dont le Déluge marque un tournant, nous rappelle aussi que la notion du « monde d’après » ne date pas d’hier. Et que, de tout temps, l’humanité a cru voir sa dernière heure arriver. « L’histoire de la fin du monde est une histoire sans fin !» 

 

 

GRÉGORY PLOUVIEZ

Le Progès - « Une force romanesque addictive »

Eric-Emmanuel Schmitt n’est pas immortel, au sens propre ou figuré. Pas encore. Mais il a imaginé un personnage qui traverse les siècles et les époques, une façon romanesque de raconter le monde et l’humanité, depuis le néolithique jusqu’à l’ère numérique. Le premier volume, baptisé Paradis Perdus, introduit cette ambition folle. L’auteur plante le décor, présente les personnages et met en action le ressort romanesque du livre, où se conjuguent le bien, le mal et l’amour. On se bat et on s’aime au temps des premières tribus, et l’on devine que l’histoire de l’humanité va se dérouler selon les mêmes ressorts. Le romancier lyonnais est aussi agrégé de philosophie et spécialiste de Diderot. Comme l’écrivain encyclopédiste, Eric-Emmanuel Schmitt mêle dans son récit une force romanesque addictive, mais aussi une rigueur historique sans faille et des digressions philosophiques qui rappellent le premier métier de l’auteur, devant un parterre d’étudiants. Les 500 pages de ce premier tome se dévorent avec bonheur, très rapidement. Hélas, il faudra attendre octobre pour lire la suite... 

 

L’écrivain lyonnais Eric- Emmanuel Schmitt ra- conte l’histoire de l’humanité au travers d’un roman en 8 volumes. Le premier tome « Paradis perdus » sort aujourd’hui et raconte le néo- lithique avec autant de rigueur historique que d’élan romanesque. Eric-Emmanuel Schmitt, comment vous est venue l’idée de raconter l’histoire du monde sous forme d’un roman ? 

« J’ai été traversé par cette idée lorsque j’avais 25 ans. Je venais d’achever Normale Sup, et l’agrégation de philosophie, et j’étais nommé assistant à l’université de Besançon. Alors je pouvais enfin lire pour le plaisir. Quand on fait des études, on lit ‘‘utile’’. Pendant long- temps, je n’avais lu que de la philosophie et de l’histoire des sciences et tout d’un coup je retrouvais la littérature. C’est à ce moment que j’ai imaginé un personnage qui traverserait les temps. Mais je sentais incapable face à un tel projet. Alors c’est devenu un programme. Depuis j’ai travaillé pour avoir la maîtrise du romanesque, et pour acquérir les connaissances pour envisager cela. » 

 

L’interaction entre roman et rigueur historique, c’était un défi ? 

« Oui, parce qu’il est facile de faire un essai, et il est assez simple de raconter une histoire, mais mêler tout ça, c’est moins évident. Mais j’ai fait ma thèse sur Diderot, qui est tou- jours en équilibre entre philosophie et littérature, justement parce que j’ai toujours aimé cette tradition, même si elle est un peu marginale. » 

 

Comment raconte-t-on une histoire en huit volumes ? 

« On attrape de belles migraines ! J’ai bâti un plan sur 5000 pages, ce que je n’avais jamais fait. Je l’ai conçu comme un arbre des possibles, avec des ressorts dramaturgiques, psychologiques, philosophiques... J’ai travaillé seul, sans documentaliste ni « recherchiste », je voulais valider moi-même chaque information. C’est un travail d’architecture assez long, et quand j’en suis arrivé à la rédaction, j’étais soulagé. » 

 

Vous garantissez la rigueur historique de votre récit ? 

« Oui, j’ai été très scrupuleux sur chaque détail. Et l’ensemble est toujours relu par un spécialiste, de chaque époque. Je ne prétends pas avoir un savoir universel, alors je prends les précautions nécessaires. » 

Au regard de vos travaux historiques, est-ce que l’homme apprend de son passé ? 

 

« Non. Mais c’est une question complexe. Disons que l’homme ne se rend pas compte qu’il s’intègre dans un temps si long. Il se pense toujours dans la nature des choses. Au néolithique, l’homme se pensait complètement dans la nature, alors qu’il avait déjà commencé à la transformer. À l’époque de la Mésopotamie, alors que l’on invente l’écriture, la ville et les classes sociales, on pense que le monde a toujours été ainsi, que c’est Dieu qui l’a créé ainsi. A chaque époque, l’homme ignore son historicité et la contingence de ce qu’il vit. Une fourmilière n’a pas changé en 100 000 ans, mais la société humaine n’a pas cessé d’évoluer. » 

 

On voit que l’humanité s’est toujours construite contre la nature... 

« On est aujourd’hui dans ce que l’on appelle un anthropocène, c’est-à-dire une nature où l’homme est partout. Elle a été ‘‘homminisée’’. La vie des espèces dépend aujourd’hui de l’homme. Comme le disait Descartes, l’homme s’est rendu ‘‘maître et possesseur de la nature’’. Heureusement, on a en- fin pris conscience de cette dé- mesure. C’est pour cela que le premier tome s’appelle ‘‘Para- dis perdus’’ 

 

Est-ce que c’est un livre défaitiste ? 

« Non, pas du tout. C’est un livre destiné à faire du bien. C’est un ressourcement, un re- tour à la nature. Il y a une prise de distance, qui observe l’homme avec humour et tendresse. Comprendre comment l’humain se fabrique, se dévoie, comme il est parfois admirable, c’est toujours salutaire. Comprendre l’humanité, c’est aussi l’aimer. » 

 

 

Thierry Meissirel

La Provence - « Une érudition impressionnante »

Bénéficiant à Aix de l’appartement des Goncourt, Éric-Emmanuel Schmitt publie Paradis perdus le début de sa saga sur l’humanité... en huit tomes 

Énorme projet. D’abord par son poids en livres (huit au total de près de 600 pages chacun). Par son ambitieuse narration ensuite qui se veut ni plus ni moins que le récit de l’humanité. Et en rai- son de la profondeur de sa pensée, où l’on verra comment son auteur fait dialoguer les différentes religions, et toutes les principales cultures du monde entier. Philosophe de formation Éric-Emmanuel Schmitt qui bénéficie à Aix, comme tous ses collègues d’un appartement légué par héritage aux membres de l’Académie Goncourt, creuse son sillon romanesque avec un mélange de pensée critique et d’écriture panthéiste. Ce qui frappe une fois encore à la lecture de Paradis perdus, (un titre très John Milton), c’est de voir combien Éric-Emmanuel Schmitt développe l’idée que le monde n’est pas absurde comme le suggère Camus, mais mystérieux. Et que son sens caché doit être retrouvé par un travail ontologique. 

Nous voilà ici faisant la connaissance de Noam, qui, un matin se retrouve à 25 ans... immortel. "Ne pas vieillir, ne pas mourir " sorte de juif errant raconté par Jean d’Ormesson, notre héros en rêve et l’éprouve. C’est un cadeau. C’est aussi une souffrance, car, voir les gens qu’il aime s’affaiblir, et disparaître, ne jamais craindre ce que ses proches craignent, n’apercevoir aucune issue à ses doutes, à ses interrogations, l’enferment dans la solitude, la souffrance morale, le spleen sans fin. Bien entendu, son état d’éternité lui permet de ne pas subir l’usure, et braver les dangers qui ne le menacent de toute façon en aucune manière. Mais une menace plane sur lui : qu’on découvre son im- mortalité... Alors il ne peut rester trop longtemps au même endroit, et fuit sans cesse. 

 

Éternel voyageur 

En éternel voyageur, Noam traverse de nouveaux lieux, dé- couvre de nouvelles langues, accumule les savoirs. Tour à tour savant, puis médecin il va traverser les siècles, et quoi de plus commode finalement pour qui veut saisir l’essence de sa vie, percer le mystère du bien et du mal. De l’ère du déluge à nos jours - en huit tomes répétons-le - Noam le curieux devient acteur de ce qui change en permanence sous ses yeux. Avec chez l’auteur une érudition impressionnante, un sens du récit à tiroirs, et un goût prononcé pour les ro- mans de Paul Féval, Alexandre Dumas, les sagas islandaises et les contes sud-américains, les histoires de Jorge Amado en tête. 

 

Histoire d’amour 

Et puis chercher la femme ! Celle qui fait basculer un ro- man initiatique dans une saga d’amour aux mille parfums d’orient et d’ailleurs. Elle se pré- nomme Noura, et dès son apparition elle secoue le cœur de Noam, pour toutes ses vies futures. 

Imprévisible et fascinante, elle le révèle à lui-même. Avec éclat et grandeur d’âme. Couvrant la période fin du néolithique, déluge, Paradis perdus sera suivi de La porte du ciel (on y explorera Babel et la civilisation mésopotamienne), et se terminera six volumes après par Révolutions où Éric-Emmanuel Schmitt, romancier moraliste féru d’Histoire s’emploiera à décrire les mutations politiques industrielles, et techniques des temps modernes. Dans la veine n’en doutons pas de ces Paradis perdus qui brillent de l’éclat des grands romans fondateurs. 

 

 

Jean-Rémi BARLAND

WeCulte! - « Vivement la suite! »

Homme de lettres et de mots et académicien Goncourt, Eric-Emmanuel Schmitt se lance, à 60 ans, dans une œuvre monumentale : en huit volumes, conter l’Histoire de l’humanité. Un projet qu’il a mûri pendant trente-cinq ans. Evoquant le néolithique et le Déluge, le premier tome “Paradis perdus”, est en librairies.

 

D’abord, une confidence : “J’ai l’impression d’être né nostalgique”. Et puis, une autre : “Ce roman, je m’y suis préparé toute ma vie”… A 60 ans, membre de l’Académie Goncourt (depuis 2016), auteur à best-sellers et multi-récompensé, aussi librettiste pour l’opéra ou encore acteur, auteur et directeur au théâtre et réalisateur au cinéma, Eric-Emmanuel Schmitt est de retour. Et de quelle manière ! Avec “Paradis perdus”, un pavé de 570 pages- et surtout le premier des huit tomes d’une saga intitulée “La Traversée des temps” et une prévision de 5 000 pages.

Une autre récente confidence du romancier à un hebdomadaire parisien : “C’est une intuition que j’ai eue à l’âge de 25 ans, je sortais de Normale sup, j’étais assistant à l’université de Besançon, je retrouvais ma liberté de lecteur. J’ai eu l’idée d’un personnage immortel qui serait médecin afin de chercher le secret de la vie pour les autres et le secret de la mort pour lui. À l’époque, je me suis dit que c’était de la folie ; je me sentais incapable d’écrire ça. Mais ce projet a structuré ma vie. J’ai eu beau avoir la chance de connaître continuellement le succès, j’avais l’impression d’être un raté parce que je ne faisais pas ça. J’ai plongé il y a deux ans, et je me suis rendu compte que ça venait tout seul”.

Résultat, donc, ce premier tome de la saga. Pour une ambition démesurée. Sous la forme d’un roman, raconter l’histoire de l’humanité sous forme d’un voyage et littéraire, et romanesque et érudit avec un départ donc au néolithique et des étapes, entre autres, en Grèce antique, chez Jeanne d’Arc ou avec les conquistadors découvrant l’Amérique- mais, homme de défis, Eric-Emmanuel Schmitt ne craint pas l’obstacle. Voilà donc deux ans, il s’est estimé prêt à se lancer dans la grande aventure. Un récit au long cours. Une somme. Avec, à l’esprit, Denis Diderot (1713-1784)- “un auteur frontière entre réflexion philosophique et littérature” et cette idée “d’un homme ayant ce destin que la plupart des humains trouvent enviable : il ne mourrait jamais. Mon héros traverserait les temps et montrerait comment l’humanité telle qu’elle est aujourd’hui s’est constituée. Une fourmilière, une termitière, une ruche… ça n’a pas bougé depuis des milliers d’années”.

Et voilà les lecteurs de “Paradis perdus” embarqués pour un plongeon dans les profondeurs du temps, il y a 8 000 ans. Pour guide du voyage dans le passé, Noam- il est né dans un village lacustre dans une nature qu’on dirait “paradisiaque” ; il affronte les drames de son clan quand il rencontre Noura, une femme aussi fascinante qu’imprévisible et qui va le révéler à lui-même ; un événement bouleverse sa vie, il se mesure à une calamité naturelle : le Déluge ; il devient immortel. Et Noam- Noé entre dans l’Histoire de l’humanité. Il nous conte la traversée des temps- sera-t-il le seul à parcourir les époques ?…

Dans sa présentation du nouveau roman d’Eric-Emmanuel Schmitt, l’éditeur parle d’un “projet titanesque” accumulant les connaissances scientifiques, médicales, religieuses, philosophiques. Et d’ajouter : “Faire défiler les siècles, en embrasser les âges, en sentir les bouleversements, comme si Yuval Noah Harari (auteur des best-sellers internationaux, ” Sapiens : Une brève histoire de l’humanité” [2015] et “Homo Deus : Une brève histoire de l’avenir” [2017], NDLR) avait croisé Alexandre Dumas”

Auteur foisonnant, Schmitt souhaite simplement montrer, avec ces “Paradis perdus” – premier tome de “La Traversée des temps”, que d’évolution en révolution, le passé éclaire le présent qui, lui, peut expliquer le passé. “Quand on regarde le passé, on l’observe du point de vue de la fenêtre qu’on découpe dans le mur du présent, explique-t-il. Le passé nous apparaît à travers des préoccupations contemporaines, nous allons y chercher ce qui peut drainer notre présent ou s’y opposer pour le comprendre. C’est toujours le présent avec ses soucis du présent, la société du présent et ses problématiques contemporaines, qui fouille le passé et y cherche ses racines ou ses ruptures”

Adoptant le principe du roman bouillonnant, l’auteur peut ainsi évoquer le racisme, le conservatisme, l’écologie, la parité, l’égalité entre hommes et femmes. Dès ce premier volet de sa saga, lui qui affirme que “comprendre l’humanité, c’est aussi l’aimer”, il nous rappelle qu’à la perfection, il sait digérer l’Histoire et ses siècles, qu’il sait aussi vulgariser et mener un récit rythmé et feuilletonné. Sans y oublier quelques ingrédients de la tragédie grecque. Vivement la suite !

Serge Bressan

La Dernière Heure (Belgique) - « Bluffant et passionnant. »

Avec Paradis perdu, É.-E. Schmitt entame un cycle de huit romans qui retracent l’histoire de l’humanité. Bluffant et passionnant. 

Le premier tome fait 564 pages et l’on pour-rait se dire qu’il faut être un peu fou pour annoncer d’emblée qu’il y en aura sept autres (le prochain en octobre). Mais ce serait manquer de confiance envers les lecteurs, curieux comme l’est l’auteur lui-même. La preuve : en quelques jours à peine, Éric-Emmanuel Schmitt s’est hissé sur la première marche des ventes à la Fnac et c’est amplement mérité.
Car, dans ce récit à la première personne, il y a bien plus que le destin d’un homme – Noam – qui va traverser le déluge sur une embarcation de fortune (ça vous rappelle quelqu’un ?). Paradis perdu, ce n’est pas l’histoire d’un homme mais de l’Homme, de ses croyances, de ses peurs, de son apprentissage et des questions qu’il se pose depuis des millénaires. Un livre que l’auteur avait en tête depuis trente ans... “J’ai eu l’idée à 25 ans, mais je n’étais pas capable de le faire. Donc il fallait avoir des moyens romanesques, que j’ai développés pendant toutes ces années et puis accumuler cette somme de lectures qui permet d’organiser tout ça. Mais j’étais fâché contre moi-même, je me disais que je procrastinais, que j’étais un raté. En fait, j’ai bien fait d’attendre parce que le jour où je me suis assis pour commencer à l’écrire, c’est sorti. C’était prêt, mûr. C’est ce que m’a appris la vie: la sa- gesse de la patience”, dit-il avec élégance. 

Un projet follement ambitieux, donc, que celui de réécrire l’histoire du monde – Noam
passe dans l’Histoire sous le nom de Noé et, dans l’ensemble des livres, on verra que
certains personnages sont passés dans l’Histoire sous d’autres noms. “Ça, c’est l’aspect ludique. Heureusement qu’on a des idées folles et qui sont plus grandes que nous. Mais là, elle était nettement plus grande que moi”, ajoute-t-il. En cheminant au côté de ce héros qui défie le temps, Éric- Emmanuel Schmitt nous incite à la curiosité. Un bien joli défaut dont il est lui-même atteint. “Noam est un curieux, bras ouverts, qui n’a pas beaucoup de préjugés et il est peu jugeant. C’est un truc que j’ai, moi aussi, une curiosité encyclopédique. C’est ce que permet aussi le roman: voir l’arrivée de choses qui nous paraissent établies. Par exemple, il y a une note sur l’aspirine, qui vient de l’écorce de saule. Montrer que ce sont des raisonnements aberrants et complètement poétiques qui conduisent à trouver ce médicament qui est tellement important aujourd’hui... 

Dans une des notes qui parsème cet épais récit, le romancier souligne – avec la voix de Noam – que si les hommes se souvenaient qu’on avait tous, un jour et pour survivre, été des migrants, on n’en serait pas là aujourd’hui. “Je pense qu’on peut être léger et profond, j’ai toujours cru à ça. Quand j’enseignais, j’étais spécialiste de la philosophie française et anglaise du XVIIIe siècle. Ce siècle où l’on voit Voltaire, Diderot, Rousseau. Je n’aime pas que l’on prenne la pose du sérieux pour dire quelque chose de sérieux. Je ne trouve pas ça élégant.” 

Puisque l’histoire démarre durant le Déluge, mais que nous retrouvons Noam à Beyrouth, de nos jours, on conclut qu’il doit avoir un peu plus de 8 000 ans. Un postulat de départ qu’il fallait oser. “C’est vrai, sourit-il, il faut l’oser et la difficulté, me semblait-il, c’était de créer de l’empathie avec un personnage qui échappe à la condition humaine. C’est ça qui m’a un peu bloqué pendant des années. Je me disais qu’on n’allait pas s’identifier à un immortel. Or, je pense qu’on a une empathie pour Noam parce que c’est d’abord un enfant, un homme amoureux, un fils, parce qu’il rencontre les problèmes de tout homme. Et ce que l’on va découvrir au fil des tomes, c’est qu’il les rencontre toujours, mais d’une façon différente, parce qu’il est condamné à la fuite. On va aussi se rendre compte que cette immortalité que nous avons tous désirée est un fardeau épouvantable. Franchement, moi je n’ai pas envie de, perpétuellement, traîner les mêmes envies, les mêmes chagrins, les mêmes ignorances. Un jour, je serai content que ça s’arrête. Je regretterai la beauté du monde et les êtres que j’aime, mais voilà. Donc, peut-être que j’apprivoise aussi ma propre mortalité et que j’appelle le lecteur à faire de même, en montrant que celui qui y échappe est aussi confronté aux douleurs.” 

Quand Noam se “réveille” aujourd’hui, il se rend compte que quelque chose a profondément changé depuis le Déluge et la première catastrophe qu’il a gardée en mémoire. Alors, les hommes craignaient le danger de la part des dieux, de la nature. “Aujourd’hui, on craint la catastrophe de l’Homme puisque c’est lui, maintenant, qui en est l’auteur. Il a congédié Dieu et la nature pour être l’auteur des catastrophes. 

 

Isabelle Monnart

La Libre (Belgique) - « Un défi! »

Paradis perdus, premier volume de la titanesque Traversée des temps entreprise par Éric- Emmanuel Schmitt (cf. ci-contre), est centré sur les débuts de l’humanité avec l’histoire de Noam il y a 8000 ans, à un moment charnière, lorsque l’époque des chasseurs-cueilleurs nomades cède peu à peu la place à celle des agriculteurs du Néolithique. On retrouvera Noam dans les volumes suivants, dont le prochain, centré cette fois sur l’épopée de Gilgamesh en Mésopotamie, l’invention de la ville, avec les classes sociales et aussi l’esclavage. 

Le cycle romanesque débute par un prologue qui se déroule aujourd’hui en 2020, à Beyrouth, où Noam se réveille et découvre le monde menacé par un nouveau Déluge, celui du réchauffement climatique et du terrorisme. Il se remémore alors toute sa vie. 

 

Ce premier volume raconte les liens initiaux entre Noam, son oncle Barak, son père, les femmes qu’il découvre. L’occasion pour É.-E. Schmitt de montrer la persistance à travers les millénaires des mêmes sentiments et pulsions. Tout au long du livre, on retrouve en notes de bas de page de courtes réflexions, érudites, souvent savoureuses, autant sur Einstein qui risque de se noyer, sur pourquoi nos ancêtres n’avaient pas de caries, sur l’aspirine néolithique ou sur les dangers de la spécialisation. 

 

Comme les feuilletonistes de jadis, É.-E. Schmitt ménage des éléments de suspense pour préparer les tomes suivants, dont un évoquera la Belgique, nous dit l’écrivain, qui sera, ce mercredi à 20 h 50 sur France 5, l’invité de La Grande Librairie de François Busnel. 

 

Ce premier volume est marqué par un certain pessimisme face aux dérèglements de nos sociétés et par le rappel des temps heureux de jadis quand nous étions en symbiose avec la nature. Si ce gros livre comprend des longueurs, le métier de conteur d’Éric-Emmanuel Schmitt est à l’œuvre, mêlé comme toujours à des réflexions et des aphorismes typiques de ses livres, portant sur les questions éternelles des hommes : le pouvoir, la paternité, la sexualité, la violence. 

 

Comment est né ce projet? 

L’idée m’était venue quand j’avais 25 ans. Jeune agrégé de philosophie, sorti de Normale-Sup, je pensais à une saga racontant l’histoire d’un immortel à travers les siècles, qui nous rapporterait les événements ayant fondé l’humanité et nous montrerait comment nous sommes devenus ce que nous sommes. La société humaine est en effet le produit de l’histoire de l’homme. Mais à 25 ans, je n’étais pas capable de le faire. Aujourd’hui, je me sentais prêt à m’y lancer avec, au centre, Noam, un médecin-guérisseur immortel qui cherche les secrets de la vie pour les autres et le secret de la mort pour lui-même. Dans cette suite de romans, je me confronterai aux récits fondateurs (Bible, Gilgamesh, mythologies...) et à comment ces récits ont habillé la réalité des hommes. On sait ainsi que le Déluge, qui est au centre du premier roman, a une base historique, quand la Méditerranée, à cause de la montée des mers, a brusquement envahi la mer Noire par une vague gigantesque. 

 

Se lancer dans une telle entreprise, à 60 ans, c’est le secret pour rester actif ?
Je me donne dix ans pour boucler le cycle et j’aurai ainsi chaque jour une bonne raison de me lever! C’est comme pour ceux qui montent l’Himalaya: on ne regarde pas le sommet, mais ses pieds. Je ne regarde pas la fin du cycle, mais l’écriture au fur et à mesure qui est, pour, moi un mode d’exploration de ma pensée. Je n’écris pas ce que je pense, mais en écrivant, je découvre ce que je pense. 

 

Noam revient aujourd’hui à Beyrouth dans une ambiance de crise climatique. D’un nouveau Déluge possible ?
Le Déluge a été le dernier avertissement de la nature (ou des dieux) à l’homme. Ensuite, c’est l’homme lui- même qui sera à l’origine des déluges et c’est l’homme désormais qui s’attaque aux conditions même de sa survie. On vit un moment unique de l’histoire humaine, où les hommes ont collectivement pris conscience de la boursouflure humaine. Les hommes, aujourd’hui dessoûlés, réalisent que la toute-domination par l’homme est une impasse. De tout temps les hommes ont craint la fin du monde que les dieux leur infligeraient mais cette fois, ils pourraient se l’infliger eux-mêmes. Ces romans veulent aussi raconter com- ment on en est arrivé là. 

 

Votre roman s’intitule “Paradis perdus”. Est-ce le paradis du temps des chasseurs-
cueilleurs ? Le progrès fut-il une illusion ?
Avec le Néolithique et l’agriculture, sont arrivés la propriété, les inégalités, le vol, une situation dégradée pour la femme, qui était avant cela l’égale de l’homme. Nous vivions jadis dans le savoir partagé, chaque homme pouvait faire tout ce qu’un homme devait savoir. Avec la spécialisation, on est tombé dans l’ignorance partagée. On a perdu notre autonomie et nous dépendons totalement des autres, comme on l’a encore vu avec le Covid. 

 

Comment se fait-il que tant de livres de philosophie ou de religion ne nous aient pas amenés à plus de sagesse ?
Un livre, quel qu’il soit, ne peut pas changer les hommes (l’humanité), mais un livre peut totalement changer un homme, dans l’intimité de la lecture. 

 

On sent que vous vous êtes amusé à écrire sur Noam en partant de la Bible ?
Oui, dans la Bible, il est dit que Noé a vécu 950 ans. Il était quasi immortel, ce qui, d’ailleurs, devait être une malédiction pour lui. Voir son fils Cham mourir de vieillesse dans ses bras est horrible. L’immortel est un solitaire, séparé des autres, qui doit se cacher et qui traîne éternellement les mêmes chagrins et les mêmes ignorances. Je me suis même amusé à réinterpréter l’épisode biblique mystérieux de la nudité scandaleuse de Noé. Ici, en découvrant sa nudité, apparaît le scandale de son éternelle jeunesse. 

Son demi-frère Derek et son grand amour Noura sont aussi deux personnages éternels qui reviendront dans les prochains romans.
J’avais envie de raconter un amour qui dure éternellement, celui entre Noam et Noura, avec ses incompréhensions, ses désynchronisations. Et je voulais aussi, à travers Noura, voir comment la notion du temps est vue autrement par une femme que par un homme, comme l’expliquait Simone de Beauvoir. Quant à Derek, il est celui qui a des certitudes et est donc dangereux, alors que Noam porte l’étonnement philosophique. Ces deux frères opposés me permettent de toucher à la tragédie. Souvent le pire vient de la proximité. On a expliqué comment l’antisémitisme et le racisme ne naissent pas de la différence, mais de la peur que cette différence n’existe pas. C’est ce conflit qui habite Noam et Derek. 

 

Les caractères et sentiments des personnages sont encore actuels : le rapport au pouvoir, l’amour, etc.
Une fresque historique doit suggérer à la fois les variants apportés par l’Histoire et les invariants portés par l’anthropologie. Et ces caractères finalement proches de ceux des humains d’aujourd’hui créent aussi une proximité avec le lecteur. C’est la force du roman de pouvoir rendre le lointain si proche. J’y ajoute toutes ces notes où je place de la science, de la réflexion, sans oublier l’humour. 

 

Vous écrivez dans votre propriété en Belgique ? 

La Belgique est mon atelier. Quand j’écris dans mon village du Hainaut, mes problèmes d’écriture sont résolus par une bonne marche dans les bois. Alors que je ne suis jamais parvenu à écrire une seule ligne quand je suis à Paris, une ville qui capte toute mon énergie. 

 

Êtes-vous pessimiste pour l’avenir? Vous avez souvent évoqué votre foi chrétienne...
Métaphysiquement, je suis serein. La vie est un cadeau sublime qui va de pair avec la mort. Existentiellement, je suis inquiet devant l’état du monde. Heureusement, car l’inquiétude est mon levain qui me fait vivre et écrire. Socialement, je suis par contre pessimiste parce que les hommes n’apprennent décidément rien de leur Histoire et de leurs erreurs passées. Comme Kant, je pense qu’il y a un mal radical qu’on voit avec les massacres, voire les pandémies, mais on peut encore éviter le pire. Dans ce sens, ce livre est un appel à la responsabilité de chacun. 

Guy Duplat

L’Echo (Belgique) - « J’ai été traversé par cette idée d’un homme immortel »

L'auteur publie "Paradis perdus", tome I d’une fresque qui en comptera 8 ("La traversée des temps"), dans laquelle il tente de réécrire l’histoire de l’humanité.

Éric-Emmanuel Schmitt nous avait plutôt habitués à des récits courts. Avec ce nouveau livre, il s’est lancé un défi titanesque: raconter l’histoire de l’humanité, ce qui n’est pas sans faire écho à «Sapiens», le fameux ouvrage de Yuval Noah Harari. «J’avais 25 ans, j’étais jeune professeur à Besançon. J’ai été traversé par cette idée d’un homme immortel. Mais, à 25 ans, je n’avais pas les moyens de la réaliser. Il me manquait des moyens romanesques et, surtout, un travail intellectuel.» Mais ce projet, il le garde en tête. Tout son travail romanesque devient une préparation à la réalisation de cet objectif: «C’est devenu un projet de vie, qui était en filigrane de tout ce que je faisais.»

 

Le temps passant, viennent les doutes. Ce qui était une perspective heureuse de création devient une rude épreuve: «Je me suis beaucoup détesté parce que je n’arrivais pas à concrétiser cette idée». Et puis, il y a eu le déclic. Les choses finissent par prendre forme. Et cette forme, justement, elle sera romanesque. «Le roman a des pouvoirs qu’un essai philosophique ou un essai historique n’ont pas. Il peut abolir la distance entre nous et le passé, créer de la proximité avec des êtres qui sont d’un autre temps nous, des pensées qui ne sont pas la nôtre. C’est la force du roman. Il crée l’empathie avec le lointain et fait revivre le réel tandis que l’histoire explique et analyse le réel, mais elle ne le fait pas revivre. Je distingue le travail historique du ressenti de l’histoire. Il est important qu’il y ait des travaux historiques. Mais l’intimité et la proximité avec le passé, seuls les arts sont capables de nous les donner.» 

 

Le héros de cette «traversée des temps» se nomme «Noam». Il a 8.000 ans et il est immortel. Éric Emmanuel Schmitt n’a donc pas voulu remonter aux origines de la vie en tant que telle, mais d’une vie, celle de Noam, qui va entraîner le lecteur à travers les époques. Dans ce premier tome, Éric Emmanuel Schmitt remonte donc à la Préhistoire. Mais comment se mettre dans la peau d’un homme qui a 8000 ans? «C’est simplement un plus grand voyage au niveau de l’imaginaire. Je pratique l’empathie imaginative. Je ne crois qu’à la connaissance par l’imagination. C’est la raison pour laquelle on lit: pour découvrir d’autres manières d’aimer, de vivre ou d’habiter l’espace.»

 

Chez Éric Emmanuel Schmitt, on trouve une préoccupation encyclopédique évidente qu’il tient de Diderot, auquel il a consacré sa thèse: «L’encyclopédisme est une passion. Je m’intéresse autant à l’invention de l’aspirine qu’à l’évolution de l’ours à travers l’histoire. La technique pour concevoir une tasse m’a toujours semblé aussi importante qu’une grande pensée philosophique. J’ai toujours refusé de hiérarchiser les savoirs; et cela, je l’ai appris chez Diderot.»

 

Noam, qui ne peut pas révéler le secret de son immortalité et qui considère avec un recul critique l’évolution de l’humanité, porte en lui une inquiétude: «L’inquiétude est bénéfique. La condition humaine est marquée par l’inquiétude. Il n’y aurait pas de génie humain, pas de développement des techniques, des arts et des sciences, sans cette inquiétude. L’inquiétude est vitale. Mon modèle n’est absolument pas bouddhiste. Je crois à la loi des passions, à l’intensité de l’inquiétude.»

C’est l’histoire du monde qui se dessine donc à travers ses mythes et ses récits communs. Mais le constat est sans appel pour l’écrivain: «L’histoire de l’humanité n’est pas l’histoire d’un progrès. Il suffit de regarder le XXe siècle». S’il y a donc un sens de l’histoire, c’est que «la boursouflure humaine occupe désormais toute la place.» Raison aussi pour laquelle cette histoire s’inscrit dans le contexte d’une crise écologique: «Nous sommes à l’ère de l'Anthropocène. La Terre a été surexploitée par l’homme. L’homme se dit qu’il est allé trop loin comme jamais il ne l'a dit auparavant. Une nouvelle conscience historique est en train de naître.» 

 

L’histoire sans fin

 

La fin du monde est devenue une réalité tangible et non plus une crainte irrationnelle: «La fin du monde est une histoire sans fin. Aujourd’hui, le récit a changé. La fin du monde n’est plus générée par Dieu ou par la nature, mais par l’homme. L’homme peut détruire l’endroit où il vit.»

Lui, le nostalgique, se sent-il bien en définitive dans notre époque; n’aurait-il pas voulu être d’un autre temps? «J’adore mon époque, mais je suis nostalgique, c'est vrai. Dès qu’on naît, on est nostalgique. Il y a toujours un paradis perdu dans n’importe quel récit légendaire. J’étais bien il y a 8.000 ans avant notre ère dans la peau de Noam. J’y serais bien resté!  Je vais essayer de montrer à la fois la douleur et la douceur de vivre à chaque époque.»

Les textes fondateurs occupent ici une place prépondérante, que ce soit l’épopée de Gilgamesh ou le récit du Déluge. Sa manière de les lire est profondément romanesque: «La Bible est un roman sans fin. Les hommes se sont toujours rassemblés autour des fictions. Aujourd'hui, la fiction c’est la science. Dans le moment de la science, il y a le temps de l’observation, de l’hypothèse et de la vérification. Le temps de l’hypothèse, c’est le moment de l’imagination, de la fiction.» L’immortalité de son personnage principal a de quoi faire rêver certains transhumanistes. 

 

Pourtant ce désir d’immortalité nourri par quelques milliardaires lui semble être un «projet odieux»: «Le trajet d’un homme, c’est d’habiter sa mortalité. Recevoir la vie, c’est la transmettre, et non pas la garder pour soi. Un avant sans après, quelle horreur!» Mais ne craint-il pas moins la mort parce qu’il est chrétien? «Je suis chrétien, mais ma foi n’est pas un savoir. La mort reste un mystère pour moi, même si j’ai confiance.» Dans le contexte actuel, nous avons plus que jamais tendance, selon lui, à confondre croire et savoir: «Ma raison doute et mon cœur croit. De nos jours, nous avons des débats sur les religions, pas sur la foi. Un débat sur la foi rassemble et n’oppose pas. Le problème c’est que Dieu a été capturé par les religions.»

Ce grand récit, qui est donc également une histoire de nos représentations, il avait peur qu’il «fragilise» sa foi, «car il s’agissait de traverser des spiritualités différentes qui pouvaient remettre en question ma croyance. Mais, au fil de l'écriture, je me suis rendu compte que les hommes parlaient de la même chose, mais en contextualisant autrement.» Derrière son pessimisme historique, un optimisme apparaît: «L’homme va se réinventer».  Le Paradis ne serait donc pas définitivement perdu? «Pour moi, le Paradis c’est le moment ou mon intériorité coïncide avec l’extérieur. Je ne vis pas au Paradis, mais le Paradis me traverse fugitivement».

Simon Brunfaut

La Tribune de Genève ( Suisse) - « Un best-seller qui va durer. »

Colosse zen à la délicatesse exquise et l’érudition débonnaire à 60 ans, Éric-Emmanuel Schmitt touche à tous les genres dans «Paradis perdus». Lancé par «La traversée des temps», le cycle en huit volumes ambitionne de refaire le monde. Des Chasseurs et Sédentaires au néolithique jusqu’aux révolutions industrielles du XIXe siècle, son héros, Noam l’immortel, aura noirci quelque 5000 pages.

Vous voilà décathlonien de l’écriture, non?

C’est vrai que je voulais réunir mes écritures, roman, théâtre, cinéma, etc. Et surtout, changer de siècle, de corps aussi. Immortel, malgré n’importe quelle académie, ça ne peut m’arriver que dans la fiction. Dans l’aventure, je m’efforce de tenir les rênes souplement, je marche sur la crête du paradoxe entre savoir et surprise.

N’est-ce pas toujours ce débat de l’inné et l’acquis?

J’ai placé cette question au cœur du projet: qu’est-ce que l’humanité? Le produit de la nature, donc l’inné, ou de l’humain lui-même, l’acquis? À mon sens, les choses naturelles n’ont pas d’histoire. Une fourmilière est pareille à cette autre, vieille de 100’000 ans. En revanche, la pensée humaine évolue. Je voulais épier ce processus de fabrication de l’homme par l’homme.

Mais sans verser dans l’abondance de documentation. Pourquoi?

Je voulais justement sédimenter la culture, d’où ces longues années à ruminer! (Rires.) J’avais envie qu’une âme me parle, pas de débiter des fiches… je suis méchant avec mes confrères encyclopédistes, mais voilà… ma phrase devait pousser avec naturel.

D’où ces extrapolations sentimentales très libres aussi?

La vie sentimentale de Noam l’immortel me semble une exception qui pourrait être glorieuse et va être douloureuse. Car sa condition le met à part. Le premier tome n’aborde qu’un début de conscience: il a l’impression de ne pas vieillir et c’est déjà insupportable, comme une trahison odieuse, une fuite éternelle. Voyez quand il voit son fils décliner.

Est-ce votre manière d’apprivoiser la mort?

Sans doute. Avec même cette ambition de sagesse que cultivent les écrivains, à savoir de convaincre mon lecteur qu’au vu du lourd fléau de l’immortalité, cette punition qui donne à traîner les mêmes chagrins et ignorances, il vaut mieux aimer sa propre mortalité avec humilité.

Ça va durer des siècles. Mais vous serez comme Noam, toujours décalé, non?

La désynchronisation ne caractérise-t-elle pas toutes les histoires d’amour?

L’amour serait la grande affaire humaine?

Chez Noam, c’est un révélateur en effet, catalyseur de son identité filiale, clanique, sexuelle aussi. L’amour l’arrache à son moi mais le révèle en même temps.

Pourquoi ne pas parler d’homosexualité?

En fait, je me suis gardé ce chapitre pour le prochain tome en Mésopotamie et plus largement ensuite, quand Noam découvrira la Grèce antique. Je me réserve…

Comment d’ailleurs avez-vous équilibré ces thèmes?

Il m’importait beaucoup de parler du féminin dès le premier tome. Je crois profondément que l’humanité s’est tendu un piège en se sédentarisant. Nos ancêtres cueilleurs-chasseurs pratiquaient l’égalité des sexes. En s’installant, la communauté a assigné les femmes à leur maternité, le foyer. Mes chasseresses ne vivent pas en prostituées de bordel mais en libres amazones.

Dans ce chantier du monde, quelle époque a votre faveur?

En tant qu’helléniste et latiniste, j’ai toujours un pied dans Athènes, un autre à Jérusalem. Je me suis surpris du bonheur à parler de l’homme d’avant le déluge, dans la nature et le vent. Toute une conscience propre au XXIe siècle me revenait à l’esprit. Ce pressentiment que l’homme va provoquer sa propre exclusion de cette planète. Il devenait évident d’y opposer le mode de vie animiste de nos ancêtres, leur refus de scission entre les corps vivants dits intelligents. Ce mode de vie néolithique, jugé parfois sommaire et infantile, me semble contenir la vraie sagesse.

«Paradis perdus – La traversée des temps»
Éric-Emmanuel Schmitt
Éd. Albin Michel, 574 p.
Deuxième volume prévu en octobre 2021.

 

Cécile Lecoultre

Le Soir (Belgique) - « Un plaidoyer pour l’harmonie entre l’homme et la nature. »

Au commencement, aux origines, il y a 8.000 ans, était Noam, son héros im- mortel. Il va connaître le Déluge, Babel, l’Égypte pharaonique, la Grèce antique, l’Empire romain, l’Europe médiévale, la Renaissance et la découverte des Amériques, puis toutes les révolutions, politiques, industrielles et techniques. Il porte le destin et l’histoire de l’humanité. Nous sommes partis pour huit volumes, un par an, jusqu’en 2028. « Paradis perdus » ouvre la marche. Un plaidoyer pour l’harmonie entre l’homme et la nature.
L’ampleur de la tâche ne semble pas effrayer Éric- Emmanuel Schmitt. L’auteur prolixe s’en régale à l’avance. Il mûrit ce projet depuis des lustres. « Paradis perdus» (au pluriel) nous rassure: ce défi semble bien emmanché. 

 

Toute l’histoire de l’humanité, c’est vertigineux : ça ne vous fait pas peur ? Ah si, c’est bien pour ça que j’ai mis du temps à trouver les forces en moi d’oser affronter cette aventure. J’ai eu cette idée à 25 ans. À l’époque, j’en étais incapable. Je me suis fabriqué une sorte de programme existentiel pour qu’un jour je me sente apte. Il faut le romanesque, la plume, le souffle, les apports de l’écrivain et du dramaturge, mais aussi un savoir qui le justifie. Je suis philosophe de formation, passionné d’Histoire, notamment celle des sciences. Ce n’est sans doute pas un hasard si j’ai fait ma thèse sur Diderot. À cause de mon esprit encyclopédique. Je portais ce projet. Je m’en voulais de ne pas démarrer, avec impatience et agacement. Je me vivais comme un procrastina- teur, presque comme un raté. Comme j’ai toujours beaucoup d’imagination, j’ai constamment d’autres livres à écrire. Là n’est pas le problème. J’avais envie et peur ! En même temps, je suis galvanisé. Maintenant que je suis en route, c’est passionnant. 

 

On part avec Noam, immortel, un cadeau et un fardeau : vous croyez à l’immortalité ? On pro- met « la mort de la mort » pour 2045... Croire ? L’immortalité est une chance mais surtout une malédiction. Transhumaniste ? J’avais écrit « La mort est morte ». Mais pour moi, c’est contre-nature et surtout contre-sagesse. C’est une folie. Mieux vaut apprivoiser sa condition. En même temps qu’on reçoit la vie, on reçoit la mort. Vivant = mortel, ce sont les deux côtés de l’étoffe. Le chemin de l’homme, c’est d’aimer la vie. La pensée de la mort doit surtout nous rendre plus présents, plus intenses, plus actifs. L’idée d’une fin ne doit pas nous déprimer. Noam traîne son immortalité à perpétuité. Vous avez en- vie, vous, de vivre les mêmes questions, les mêmes chagrins ad aeternam ? Il voit mourir tous ceux qu’il aime. Quelle horreur ! A-t-on envie d’avancer quand on sait qu’on a tout le temps devant soi ? Tout le génie humain vient de sa conscience de sa vulnérabilité. Regardez les artistes : il n’y a plus de compositeur pressé de nos jours. Mesurez l’œuvre de Mozart en 36 ans, Schubert en 33 ans, Mendelssohn en 39 ans, Chopin en 38 ans. Aujourd’hui, la durée de vie moyenne est plus large. Ce temps réduit est le moteur du progrès. Un écrivain du passé aurait sans doute écrit « La traversée des temps » à 25 ans. 

 

Vous ne renoncez pas à la fiction, avec des personnages attachants : c’est la condition humaine, comme Balzac ! Je raconte les variants et les invariants. Les invariants, ce sont les parents, l’amour reçu, l’appétit de vivre. Les variants, ce sont la civilisation, la société, le Covid qui nous bouleverse. C’est de l’anthropologie et de l’histoire. Là, il s’agit d’un déploiement romanesque sur 5.000 pages. Pour moi, écrire est un mélange de volonté et de détente. Il faut de l’invention, de la souplesse face à ce qui arrive aux personnages. 

 

L’histoire humaine, c’est une belle aventure ou une suite de drames ? Les deux. À chaque époque, on peut s’émerveiller, du génie, de l’art. Mais fonda- mentalement, l’homme ne change pas : il progresse seulement pour éviter le pire, à la suie d’une guerre ou d’une épidémie. Il y a un mal radical, comme dit Kant. L’homme ne cherche pas le bien. Je suis assez pessimiste sur la conduite de l’humanité mais optimiste sur le fait de pouvoir savourer la vie. Il y a au- tant d’obscurité que de lumière. Quand il passe à la sédentarité, l’homme perd de sa liberté. Il doit travailler, assigne la femme au foyer. Le patriarcat s’impose. Toutes ces métamorphoses ne rendent pas toujours l’homme heureux. Je n’approuve ni Hegel, ni Marx, ni Auguste Comte qui ramènent tout à l’homme. J’essaie de montrer la sagesse de l’animisme, par exemple, d’un homme qui ne se croit pas supérieur, qui admet les Esprits, dans l’herbe, le tronc, le vent, bref, qui campe dans une sagesse écologique qui n’est plus la nôtre. 

 

Le livre réserve une grande place à la nature : un torrent, un arbre, un orage, un coucher de soleil. Pourquoi ce souci ? J’y tenais. Noam vit dans une nature spectaculaire, à laquelle il participe et de laquelle il ne se sent pas différent. L’homme n’est pas au centre du monde. Je veux re- mettre en question la pensée récente. Mon roman nous transporte dans la nature, à ressentir poétiquement. 

 

Vous parcourez toute l’histoire de l’humanité : quelle est votre période préférée ? Je dirais sans hésiter la Grèce du IVe siècle avant Jésus-Christ. La Grèce des philosophes : Platon, Sophocle et Praxitèle. Elle me fascine. Elle invente le théâtre et la démocratie, la littérature, tout ce qui me passionne. C’est l’endroit au monde où je me suis tou- jours promené sur les sites archéologiques, pieds nus, tout seul, pour ressentir le passé. Ce sera le quatrième tome, un bonheur pour un helléniste/ latiniste comme moi. 

Le fil conducteur de cette saga n’est-il pas la liberté ? Y a-t-il liberté et, si oui, elle est au service de quoi? L’idée traverse toute cette histoire. Je connais déjà la fin mais, même sous la torture, je ne la révélerai pas. Ma liberté, c’est d’écrire. J’écris tous les jours, sauf en promotion comme actuellement. Alors, je corrige. Je dissocie les deux hémisphères, le créatif et le critique. Ce dernier élabore le projet. Il sert à détecter les pièges. Comme disait Sacha Gui- try, une première réussie, c’est une série de catastrophes évitées. Le créatif ne comporte aucune inhibition. Il appelle la surprise, le geste, la vivacité, l’urgence. Je m’autorise tout. Puis je repasse au critique et je me mets au travail. J’aime toutes les étapes, le polissage, la création. 

 

Le sapiens – nous – évoque le passé et le futur : néglige-t-il le présent ? Je pense, oui. Je suis d’accord. On passe sa jeunesse à se préparer à vivre et sa vieillesse à se souvenir d’avoir vécu. On oublie le présent. Noam a une force: le sens du présent. Même en pleins tourments, il est capable de savourer une aube, le bruit d’une source, d’être présent au monde et à la nature. 

 

Bernard Meeus

Moustique (Belgique) - « Embarquer n’importe quel lecteur dans le dédale de l’Histoire. »

Eric-Emmanuel Schmitt est une machine à écrire. Romans, récits, nouvelles, essais, théâtre - il publie beaucoup. Le rythme ne devrait pas ralentir, Éric-Emmanuel Schmitt a du travail jusqu’à 2027. Au moins. C’est jusque-là que devrait l’emmener le colossal chantier dans lequel il s’est lancé et dont l’ambition est de livrer le grand roman de l’humanité, décliné en huit tomes.

 

Retardé par l’épidémie, le cycle La traversée des temps est inauguré aujourd’hui par le premier épisode, Paradis perdus, le deuxième étant toujours en cours d’écriture.“Il paraîtra en octobre”, précise Schmitt qui dit supplier son éditeur d’accepter la cadence d’un volume par an. Sur l’énormité de la tâche (le premier volet pèse près de six cents pages, nombre annoncé comme la moyenne de ceux qui suivront), l’auteur d’Oscar et la dame rose reste philosophe:“Quand on escalade l’Himalaya, on ne regarde pas le sommet, on regarde ses pieds”, plaisante-t-il. 

Paradis perdus ouvre la saga et déroule le tapis rouge à Noam - notre guide pour la suite des événements, personnage immortel qui traversera les époques et n’est pas sans rappeler son lointain cousin en littérature - Fosca, héros imaginé en 1946 par Simone de Beauvoir dans Tous les hommes sont mortels. Né il y a huit mille ans, Noam se réveille aujourd’hui à Beyrouth - “le Liban est le théâtre des conflits mondiaux”, précise Éric-Emmanuel Schmitt qui s’inscrit dans la tendance rendue populaire par Yuval Noah Harari, auteur du best- seller Sapiens, parfait exercice de vulgarisation ou comment un universitaire arrive à captiver le monde avec l’histoire du monde. 

Sorti d’un long sommeil, Noam achète les journaux et découvre le monde dans lequel nous vivons - un monde qui, dans un sursaut de survie, tente de réparer les dégâts commis par ses derniers locataires. Il décide alors de coucher sur papier l’étendue de ses vies antérieures - c’est le livre que nous allons lire. Et l’histoire commence dans le village lacustre du néolithique à la tête duquel on trouve Pannoam, le père de Noam, qui élève son fils en futur chef. Sauf que... Sauf que rien ne se passera comme prévu, à la chose publique - Pannoam incarne l’invention de la politique - se mêle les affaires de cœur qui dresseront l’un contre l’autre le père et le fils... 

 

Comment est née l’idée de cette fresque romanesque dont l’ambition est de raconter l’histoire de l’humanité?
ÉRIC-EMMANUEL SCHMITT -
C’est une idée que j’ai eue à 25 ans, quand j’étais un jeune professeur à l’université.J’ai eu envie d’imaginer un personnage immortel qui traverserait les époques et nous raconterait les mutations qui ont fait l’histoire de l’humanité. À 25 ans, j’étais capable d’avoir l’idée, mais j’étais incapable de la réaliser et cette idée est devenue comme un programme de vie. Elle a guidé mes lectures pendant des décennies et conditionné mon travail d’écrivain: j’ai essayé d’élargir ma planète pour un jour avoir le souffle d’écrire cette fresque. 

 

Le cycle se compose de huit épisodes allant du néolithique aux révolutions techniques. Comment avez-vous orchestré le récit? Pendant des années, j’ai fait un arbre des possibles qui, très rapidement, est devenu une forêt des possibles dont l’élaboration m’a donné des migraines... Mais dès que j’ai pris la plume, la confiance aidant, mes personnages vivant leur vie, j’ai accepté de changer mes plans. En démarrant, je savais que Noam, le héros de l’histoire, se réveille- rait aujourd’hui et que, frappé par notre époque, il aurait besoin de se l’expliquer - avec l’idée d’un aller-retour entre présent et passé. 

 

Le livre raconte l’origine du pouvoir et des luttes pour le pouvoir. Elle est incarnée par un père et un fils qui s’opposent...
Oui, comme le récit biblique ou les récits fondateurs, c’est une manière de symboliser que c’est au cœur du même sang que se jouent les conflits.L’idée était de raconter ce moment de bascule durant lequel nos ancêtres passent de nomades à sédentaires avec l’instauration du travail, de la propriété... Noam, mon héros, hésite face à ce nouveau monde, il hésite entre le père qui incarne cette nouvelle organisation et son oncle qui symbolise la liberté dans la nature. 

 

La société qui se dessine à travers l’histoire du village de Noam dirigé par son père montre l’apparition du système patriarcal. Est-ce une chose avérée par les historiens? Beaucoup de préhistoriens et de préhistoriennes pensent qu’il y a eu un changement de statut des femmes au moment de la sédentarisation. Au moment où hommes et femmes étaient cueilleurs et chasseurs, les femmes limitaient leur nombre d’enfants; à partir de l’époque de la sédentarisation, elles en ont fait plus avec l’apparition de la notion de foyer, une assignation de la femme à garder le foyer et le début de la domination masculine. J’ai voulu signifier cette soumission au foyer en lui opposant les chasseresses des cavernes qui incarnent un monde de femmes qui disposent de leur corps comme elles l’entendent et qui ne sont pas des prostituées, mais des femmes libres. 

 

Le récit fait référence à l’idée du déluge et à la montée des eaux qui menace le village. Comme un miroir tendu à notre époque angoissée par le réchauffement climatique... Dès qu’il y a eu un homme sur terre,,il y a eu la crainte de la fin du monde: la fin du monde est une histoire sans fin. Je voulais montrer le grand écart entre cette peur-là chez nos ancêtres et notre peur d’aujourd’hui. Nos ancêtres avaient peur des dieux et de la nature, nous avons peur de l’homme. Quand Noam, au début de l’histoire, se réveille à Beyrouth et qu’il constate l’état de la planète et l’inquiétude de la jeunesse, il se rend compte que l’homme est devenu dominateur et destructeur de la nature. 

 

Dans quelle mesure le livre de Yuval Noah Harari - Sapiens, sous-titré Une brève histoire de l’humanité - vous a-t-il influencé?
Il m’a encouragé. Je l’ai lu avec passion. C’est une belle synthèse de tas de recherches. Et le succès du livre m’a rassuré, je me suis dit qu’il n’y avait pas que moi qui étais passionné par l’invention de l’humain puisque c’est cela dont il s’agit. 

 

Paradis perdus laisse également percevoir l’envie de renouer avec le fantasme de la grande aventure romanesque. Avec ce désir de s’amuser à réactiver les plaisirs presque enfantins de la lecture? 

C’est totalement ça.Plus j’avance en âge, plus je constate que ma première lecture des Trois mousquetaires a été fondamentale. Alexandre Dumas m’a donné ça: le plaisir de narrer avec, au cours du récit, des attentes, des coups de théâtre, des surprises. Le vrai projet est là: embarquer n’importe quel lecteur dans le dédale de l’Histoire. 

 

Sébastien Ministru.

Ciné-Télé Revue (Belgique) - « Conteur hors pair! »

Ce conteur hors pair publie le premier tome d’un colossal projet : raconter l’histoire de l’humanité. Tout commence avec Noam, il y a 8000 ans... 

Ce livre revisite l’histoire, les mythes fondateurs, il est philosophique, écologique. Comment le qualifiez-vous ? 

C’est un roman monde. Il y a une lecture de pur plaisir au premier degré, alexandredumaesque, et, dans les replis, de multiples connaissances et des éléments de réflexion. 

 

C’est aussi un très beau roman d’amour. L’amour est intemporel ? 

Il est essentiel. Noam est révélé à lui-même par l’amour. Noura va lui permettre de s’opposer au père, de chercher sa place, de la réinventer. C’est comme cela qu’il devient un individu différent des autres membres de son clan. Autrement, il n’aurait pas vécu sa vie. La rencontre de l’autre déclenche cela chez chacun de nous. Noura est en plus mille femmes. Elle mène sa vie sans revendication: elle est féministe avant l’heure. 

 

L’histoire fait écho à notre époque: réchauffement climatique, migrations, survivalisme. La fin du paradis est proche aussi pour nous ? 

De tous temps, il y a toujours eu des récits sur la fin du monde. Dans le passé, elle était l’œuvre des dieux, d’un dieu ou de la nature. Aujour- d’hui, l’homme remet en question sa survie à force de s’être considéré au- dessus de tout le reste de la création. Malgré ce constat, il y a l’espoir que l’homme se corrige, mais il ne se corrigera qu’à travers les catastrophes. 

 

Votre héros est immortel. Un bien ? 

L’immortalité est une épouvante parce que cela signifie une solitude radicale. Cela suppose de traîner éternellement les mêmes questions. Cela veut dire transporter ses chagrins à perpétuité. A travers ce roman, j’appelle les lecteurs à apprivoiser leur mortalité, l’accepter et à l’aimer. 

 

En fil rouge, vous opposez civilisation et barbarie. Le progrès est-il mauvais ? 

Nos ancêtres avaient un rapport à la nature que nous avons perdu, ils se pensaient vivants parmi d’autres vivants équivalents, voyaient dans les éléments une âme. Cela nous paraît naïf, c’est extrêmement sage parce que cela était très humble. L’homme s’est mis à croire qu’il était le seul à être un esprit. Du coup, il s’est emparé du monde comme d’un objet qui lui appartenait. En se remettant dans la peau de nos ancêtres, j’essaie de montrer qu’il y a un paradis perdu qui est cette façon modeste d’habiter un monde luxuriant. 

 

Votre projet comptera huit livres. Que nous réservez-vous pour le tome 2 ? 

Il devrait sortir en octobre. On sera en Mésopotamie autour de la tour de Babel, dans un monde qui vient d’inventer l’écriture, la ville, les classes sociales et où le rationnel est teinté de magie. 

 

ANTONELLA SORO

Psychologies - « Je suis optimisme par pessimisme. »

Avec son nouveau roman, l'écrivain et philosophe franco-belge attaque un cycle de huit tomes consacrés à l’histoire de l’humanité. Rencontre avec un homme plein de désirs et d’énergie. 

Psychologies: Comment est né ce projet pharaonique?
E.-E.S.: J’avais 25 ans. Je venais de terminer l’Ecole normale supérieure et de passer l’agrégation de philo et je m’étais enfin remis à lire-quand on accomplit des études de philo, on n’a le temps de lire que de la philo ! J’étais plongé dans Marguerite Yourcenar, en particulier les Mémoires d'Hadrien, et Mika Waltari. J’étais fasciné par le pouvoir qu’a le roman de rendre l’Histoire intime, de nous faire entrer dans des époques qui ne sont pas les nôtres. C’est alors que j’ai eu l’idée d’un guérisseur qui posséderait le don de l’immortalité et qui traverserait les temps. Ce projet m’a effrayé... mais il est devenu un programme. Il me donnait rendez- vous avec moi-même, selon ce principe dynamique qu’il faut s’élever au-dessus de soi pour accumuler des connaissances. L’enjeu m’a occupé durant des décennies tandis que j’accomplissais d’autres œuvres qui me permettaient aussi d’enrichir ma palette d’écrivain. Il fallait que j’élargisse mon souffle. 

 

Ce monde total, était-ce le projet d’approcher l’essence de la nature humaine?
E.-E.S.: Oui, c’est un roman à la fois d’historien et de philosophe, cherchant les variables et les invariants. D’un côté, je fais de la philosophie et de l’anthropologie, en essayant de mettre à jour ce qui, dans la condition humaine, conduit toujours aux mêmes appels, aux mêmes difficultés, aux mêmes questions, que ce soit au néolithique ou aujourd’hui; d’un autre côté, je repère les transformations qui nous ont constitués : les événements, les changements technologiques, climatiques, sociologiques, etc. 

 

Qu’est-ce qui vous apparaît alors intangible, inhérent à la nature humaine?
E.-E.S. : Le questionnement! L’homme est une conscience inquiète qui n’adhère pas au monde comme un sucre fondant dans une tasse de café, il s’interroge sur sa présence au monde. Avoir une conscience se révèle un inconfort fondamental: nous savons que nous sommes fragiles, mortels, solitaires. Nous réfléchissons sur cette vie qui nous est donnée et qui nous sera reprise.La signature humaine, ce sont les rites qui entourent la mort. Aucun animal n’enterre ses morts. Cette alarme existentielle génère la plupart de nos comportements, nos croyances, nos mœurs, nos philosophies, nos sciences, nos techniques.Elle nous a permis de creuser le monde, d’édifier des civilisations. Dans ce creux s’est fait le plein. 

 

Vous soulignez aussi, dans ce premier volume, et sans doute dans les suivants, l’importance grandissante que se donne l’homme dans le monde...
E.-E.S. : L’enflure humaine, voilà l’autre invariant que l’Histoire dévoile. Dans ce roman, Noam, le héros, ne fait qu’un avec la nature, il ne se pense pas au-dessus. C’est pour cela que j’ai intitulé ce premier livre Paradis perdus. L’homme ne s’est pas encore rendu, comme le dira Descartes,« maître et possesseur de la nature». Parla suite, Noam s’étonnera de la domestication de la faune et de la flore, une domination qui va jusqu’à la destruction. 

Au sein de ces deux invariants, il y en a d’autres, comme l’amour...
E.-E.S. : Absolument. L’amour, c’est le désir, la pulsion vitale. Noam, mon héros, est révélé à lui-même par une femme, Noura. La rencontre surtout la rencontre amoureuse, s’affirme comme l’un des grands principes d’individuation. Au long des tomes, Noam
gardera aussi la capacité de s’étonner.

Ce Noam est-il une part de vous ?

E.-E.S. : J’y ai mis beaucoup de moi. Il me ressemble beaucoup...sauf qu’il a de très beaux et très longs cheveux [rires].Il possède une faculté au bonheur, une sensualité, une sensorialité, un enracinement amoureux. A travers cette histoire et tous ses personnages, j’exprime la tendresse que j’éprouve pour les différents êtres. Je ne juge pas les gens. Noam non plus. Le mal n’est jamais voulu comme tel, il répond à une douleur ou à une humiliation. 

La crise que nous traversons a-1-elle eu une part dans la conception de ce roman? 

E.-E.S.: Bien sûr. On regarde toujours le passé depuis la fenêtre du présent. Il n’y a pas d’autre poste d’observation. J’examine le passé à travers la destruction actuelle de la planète, par exemple. Je raconte le déluge, un cataclysme naturel indépendant des hommes; or nous sommes aujourd’hui l’agent de l’anéantissement. L’appauvrissement de l’environnement, le réchauffement climatique appartient à l’angoisse contemporaine. La perte de notre autonomie est le second versant du progrès. Interdépendants, nous vivons dans des univers de plus en plus liés. 

Pensez-vous que les catastrophes dans lesquelles nous sommes, y compris les épidémies, vont nous donner l’impulsion de changer?

E.-E.S. : Je suis assez kantien. Kant disait que l’humanité ne s’améliore qu’à travers les catastrophes. Il faut du mal pour que l’homme produise du bien. L’optimisation s’avère toujours une réaction. On fait mieux, pas du tout parce que c’est bien, mais parce que ça va tellement mal qu’il faut changer. Exemple : les instances de régulation internationales. Je crois que l’humanité progresse via le pire. Voilà ce qui accélère l’Histoire. Je suis optimiste par pessimisme. 

Vous êtes quand même très optimiste : à 60 ans, vous vous attaquez à un projet qui vous prendra une dizaine d’années!
E.-E.S.: Oui. Quand j’ai commencé, j’ai tremblé, mais je me suis dit : « Quoi qu’il t’arrive, tu es entrain de te donner dix ans de vie ! Tu ne pourras pas être malade, tu ne pourras pas flancher.» J’épouse un élan. 

C’est la force de l’esprit que vous évoquez...
E.-E.S. : Tout à fait. Le désir nous tient debout. Quand une existence est habitée par le désir, lorsqu’on a une raison de se lever le matin, dès qu’on accepte d’être fatigué par ce qu’on sait pourquoi et et que l’on se réjouit de l’être, on embrasse la vie! J’ai l’impression d’être beaucoup moins vieux en entreprenant ce projet Je me trouve là où je dois être, où j’ai voulu être. Ces moments d’adéquation avec soi- même sont si forts. Il m’a fallu un brin de folie pour me lancer, mais une fois que je m’y suis mis, j’ai compris que le roman entier était présent, qu’il suffisait que je m’assoie pour qu’il sorte ! J’ai des milliers de pages dans la tête. 

Ce projet vous permet d’être encore plus vous-même... 

E.-E.S. : C’est ça. Quel épanouissement, penser qu’on est en train de faire ce pour quoi on est fait ! Vous savez, j’ai toujours flirté avec l’Encyclopédie. J’ai réalisé une thèse sur Diderot, quelqu’un qui avait la passion encyclopédique, qui s’intéressait autant à la technique qu’à la spiritualité. Il fut pour moi comme un guide. Je me rends compte que des périodes où je partais dans différentes directions exprimaient la même pulsion et aboutissaient à ce projet. 

C’est une manière d’accomplir sa vie... 

E.-E.S. : Chacun s’interroge sur sa part de construction et sa part de révélation à soi. Dans mon chemin, il y a des choix qui révèlent de la construction - les études, la carrière-, mais il y a aussi des révélations. En avançant, on découvre ce pour quoi on est fait, soi seul, ce qu’on peut apporter qu’un autre ne ferait pas. Je pense, comme l’écrivait Marguerite Yourcenar, qu’on ne change pas: on s’approfondit. Deviens ce que tu es une fois que tu en as pris conscience. Et deviens-le au mieux. Ainsi, on s’harmonise. 

N’est-ce pas un peu mégalomaniaque?
E.-E.S.: Il faut distinguer l’ambition, qui est une forme d’humilité - aller au-dessus de soi-, de la mégalomanie, qui est la conviction d’être supérieur. Les confondre me paraît grave. Je suis quelqu’un de rongé par le doute, toujours prêt à admirer, absolument pas mégalomaniaque. 

D’où vient cet appétit?
E.-E.S. : Je me définis comme une curiosité sur pattes! Enfant, j’effrayais mes parents parce que je démontais les objets pour savoir comment ils fonctionnaient. Puis ce fut pareil avec la musique, avec la philosophie... J’ai continûment vibré de la passion de comprendre: je veux jouir des choses, mais j’en jouis davantage si je les comprends.Je suis un être de curiosité et de désir. 

C’est la même chose! 

E.-E.S.: Oui. Et la curiosité constitue aussi la première forme de la tolérance. 

Que pourriez-vous dire à tous ceux qui sont angoissés, déprimés, en ce moment, et en particulier aux jeunes qui se désespèrent? 

E.-E.S.: La vie est un voyage qui offre de trouver sa place au milieu des autres, d’être soi. Parfois, les contingences les circonstances retardent ou inhibent ce projet Mais le projet demeure.Il faut le chercher, ne pas l’oublier, le cultiver. Passons notre journée au crible 

et identifions ce qui nous renforce, ce qui nous paraît essentiel, ce qui fortifie notre élan vital. La société nous atomise, nous disperse? Rêvons! Le rêve nous rapproche de nous-mêmes. Ce n’est pas facile de vivre, mais quelle aventure ! Le confinement, les restrictions finiront. 

 

Christilla Pellé-Douël

Télépro - « Une fresque colossale »

À 61 ans (ce 28 mars), l’écrivain s’attaque à une fresque colossale : la saga de l’humanité en huit volumes ! 

Après plus de trente ans d’écriture et de réflexion, le romancier, nouvelliste, dramaturge, scénariste, cinéaste... - connu pour ses œuvres comme «Oscar et la dame rose», «Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran» ou «Journal d’un amour perdu» -, publie «La Traversée des temps - Paradis perdus», premier tome d’une série de romans qui démarre il y a 8.000 ans ! Rencontre. 

 

Vous réfléchissez à ce projet depuis plus de trente ans, racontez-nous.

 

Le jeune homme que j’étais à 25 ans avait eu cette idée, mais il ne pouvait pas encore se lancer dans une telle aventure car cela supposait une infinité de lectures et une maîtrise des moyens. C’est devenu un programme de vie. Je me suis donné rendez-vous avec moi-même et j’étais heureux quand je suis arrivé au rendez-vous. 

Comment vous est venue l’idée d’une telle œuvre ? J’ai fait des études de philosophie, j’étais jeune assis- tant et je redécouvrais le plaisir de lire pour moi, et non par obligation. J’étais plongé dans la littérature comme avant de commencer mes études. LE roman a le pouvoir unique de ressusciter les choses, de rendre vivant ce qui a disparu. JE me suis dit que j’aimerais traverser l’humanité à travers des romans.C’est là que m’est venue cette idée d’un personnage qui nous raconterait sa vie, et donc la nôtre. 

 

Ce travail. Vous a demandé énormément de recherches…

 

Oui, j’adore découvrir, tout m’intéresse. Je suis assez encyclopédique dans mon rapport au monde. L’encyclopédisme , c’est dire qu’il n’y a pas de hiérarchie dans les savoirs.
C’est aussi important de savoir faire du pain que de connaître la théorie de la relativité d’Einstein. J’ai tou- jours accumulé mille intérêts dans ma vie, certains que je filtrais en me disant qu’ils seraient dans le livre.

 

La situation actuelle vous a-t-elle aidé dans l’écriture de ce livre?

 

Ella m’a aidé parce que j’ai encore davantage pris conscience que nous vivons une période unique. C’est la première fois dans l’histoire que l’Homme se rend compte qu’il est peut-être allé trop loin dans la domestication de la nature et l’exploitation de la planète.

 

Aimeriez-vous être immortel comme Noam, le héros de votre roman ? Spontanément, oui. En réfléchissant, surtout pas. (Rires) Oui, car quand on aime la vie, on a envie d’en jouir le plus longtemps et le mieux possible. Mais dès que je réfléchis, je me dis que non. Traîner les mêmes chagrins à perpétuité, me poser les mêmes questions aux- quelles je n’obtiendrai jamais de réponse , ne pas pouvoir aimer l’autre au même rythme ou vivre la solitude que représenterait l’immortalité : non merci ! Je pense que c’est dans l’inquiétude vitale que se forge le génie humain. 

 

Comment l’écriture est-elle entrée dans votre vie ?
Je ne me souviens pas de l’époque où j’ai commencé à écrire. Tout ce que je sais, c’est qu’en rentrant de l’école, j’écrivais des histoires. Je pen- sais que tous les enfants faisaient ça mais j’ai récemment découvert que non. En fait, tout le monde avait compris que j’étais écrivain, sauf moi. Je suis écrivain comme un pommier fait des pommes. Heureusement que je m’en suis rendu compte. (Sourire) 

 

 

Marie LARDINOIS

Libération - « Un syncrétisme de haute volée. »

Un bon poids, cinq cent soixante-trois pages, et ce n’est qu’un hors- d’œuvre. Eric-Emmanuel Schmitt se lance dans une saga façon XIX e siècle avec emballage générique et grandiloquent, «La Traversée des temps».Le premier volume a’un intitulé biblique, Paradis perdus. Cette folie (ce «projet fou» dit-il lui-même), en comptera huit au total, entreprise pas si écervelée que ça puisqu’elle est établie de façon programmatique et sans doute contractuelle : un par an jusqu’en 2028, ce qui est à peu près déjà le rythme de publication de ce normalien et théâtreux à grand succès. On sait déjà vers où vaqueront les sept tomes à venir, Babel et Mésopotamie, l’Egypte des pharaons, la Grèce antique, Rome et la naissance du christianisme, l’Europe médiévale, la Renaissance et la découverte des Amériques, révolutions modernes. Cette idée de raconter l’histoire de l’humanité depuis ses origines sous forme romanesque lui serait venue à 25 ans, et il en a 61 ce dimanche d’après Wikipédia. «Comme si Yuval Noah Harari croisait Alexandre Dumas...» vante l’éditeur. 

 

1 Roman ? 

Inutile de dire que pour tenir le lecteur sur la longueur et l’amplitude temporelle annoncée, il faut de bons personnages, de l’amour et du sang. Le fil rouge de cette fresque qui brasse les milliers d’années tient sur les épaules de Noam, alias Noé. Oui, c’est bien l’homme du Déluge, celui-ci sera revisité par l’auteur dans la deuxième partie. Nous sommes au néolithique dans un village au bord d’un lac, dirigé par le père de Noam, Pannoam. Les relations entre les principaux protagonistes, les parents du héros, son oncle exilé dans la forêt, un guérisseur et sa fille Noura dont il tombe raide dingue, explorent les dimensions de l’apprentissage, du tragique, aux accents parfois mythologiques. Le bon père, et chef, cache en réalité un tyran et un traître. Suspense en perspective. 

Traversée ? 

2 Comment Noam va-t-il nous faire passer le temps ? On le découvre au début s’éveillant dans une grotte à notre époque après bien plus qu’une saison d’hibernation de marmotte. Il est donc immortel, et on songe à une autre traversée des siècles, plus modeste et one shot , de Simone de Beauvoir (Tous les hommes sont mortels) mais à visée philosophique. Noam ne meurt jamais, triple avantage : héros familier pour le lecteur, témoin de l’évolution du monde, conscience morale qui assiste à la dégradation de la planète. Cela permet aussi à Eric-Emmanuel Schmitt d’opérer des navet- tes entre la préhistoire et le XXI e siècle, et de disséminer de savantes notes de bas de pages, sur la propreté au cours des âges, sur la rencontre de Noam avec Herman Melville à New York ou sur la généalogie d’un médicament, etc. 

3 Paradis ? 

Dès le début, transpire une critique de la destruction de la planète par l’humanité : «A quoi bon revenir dans un tel univers? s’interroge Noam. Dorénavant, Dieu est exclu de l’apocalypse, l’homme y suffit.» Noam est né dans une société en harmonie avec la nature. Il vante l’hygiène de vie des hommes de la préhistoire auprès de survivalistes qu’il a rencontrés à notre époque. Occasion pour l’auteur d’introduire une ambiance de thriller, avec «une opération Cavaliers de l’apocalypse» armée jusqu’aux dents. Un syncrétisme de haute volée. • 

 

 

 

 

FRÉDÉRIQUE ROUSSEL

Fémi—9 - « Beau projet littéraire! »

 


Avec Paradis perdus, Éric-Emmanuel Schmitt publie enfin le premier tome de la saga baptisée La Traversée des temps dont l'idée lui trottait dans la tête depuis trente ans. Son ambition ? Retracer au fil de huit romans l'évolution de l'humanité depuis le Néolithique jusqu'à nos jours, à travers le regard d'un personnage immortel. Rencontre avec un écrivain dévoué à son art, qui nous plonge dans les coulisses de ce beau projet littéraire. 

 

 

Fémi—9 : Quelle a été l'étincelle de départ de ce projet ?


Éric-Emmanuel Schmitt : Je crois que c'est la lecture de deux auteurs que j'adore, Marguerite Yourcenar et Mika Waltari. Ils m'ont fait me rendre compte de la
puissance du roman historique, qui permet la restitution, voire la renaissance des époques disparues.Il nous ramène la chair, le sang, l'énergie, les odeurs, les couleurs d'une époque et permet d'abolir les siècles. Émerveillé par cette force du roman, j'ai été traversé par cette idée : un héros immortel qui nous raconterait l’humanité à travers les évolutions techniques, culturelles, spirituelles, philosophiques et scientifiques au fil des grandes périodes qu’il aurait traversées.

 

Fémi—9 : Votre héros s’appelle Noam. Avoir choisi un personnage principal masculin implique-t-il une perception particulière de l’immortalité?

 

Éric-Emmanuel Schmitt : Oui, car les hommes et les femmes ne l’abordent pas de la même manière. Je développerai cette notion dans les tomes suivants avec 

l'entrée en scène d'une héroïne immortelle qui me permettra de montrer que leur rapport au temps est différent, ne serait-ce que dans la manière dont il s'inscrit dans les corps. Chez les femmes, ce rapport au temps est mensuel, il est lié au fait de donner la vie. Alors que les hommes ignorent le temps et les maux du corps tant qu'ils ne sont pas malades. Mais en tant qu'immortel. Noam m'émeut car je ne considère pas l'immortalité comme un cadeau: je trouve plutôt 

qu'il s'agit d'un fardeau, une condamnation à perpétuité pendant laquelle se poser les mêmes questions et traîner les mêmes chagrins. J'ai tout de suite entendu la musique de l'âme de Noam et même si mon rôle en tant qu'auteur n'est pas de juger mais de montrer la complexité humaine, je l’ai tout de suite aimé: c’est un être bienveillant, très curieux, qui a peu de certitudes et n’hésite pas à les remettre en question.

 

Fémi—9 : Vous mûrissez depuis trente ans ce projet littéraire. Qu'est-ce qui vous a empêché de le concrétiser plus tôt ? 

 

Éric-Emmanuel Schmitt : Il s'agissait de concevoir un roman de 5 000 pages sur 8 tomes, il fallait donc que je prépare une architecture solide pour structurer ce récit. D'un côté II y avait le travail de l'intellectuel qui devait digérer les savoirs encyclopédiques accumulés, afin de découper l'Histoire et mettre en avant les grands moments de mutation, de révolution ou de transformation que Noam va traverser sur 8 000 ans. De l'autre, le travail du romancier qui devait réfléchir à la façon de tendre le fil dramatique de l'histoire sur plusieurs volumes. Ces deux enjeux correspondent d'ailleurs à l'équilibre constant que j'essaie de maintenir : la tension entre l'analytique et le créatif. Et quand j'ai annoncé à mon éditeur que j'étais prêt à me lancer dans le roman dont je lui parlais depuis 30 ans, il a été ravi mais il a aussi eu peur que l'équilibre entre le savant et le romanesque ne soit pas au rendez-vous dans ce texte. Cependant en ayant pris de nombreuses années pour assimiler la culture historique que j'ai acquise, j'ai pu la transformer en un substrat quasi naturel sur lequel m'appuyer et je peux désormais me concentrer sur le côté créatif lors de la phase d'écriture. 

 

Fémi-9 : Comment fait-on pour garder le cap et continuer à croire que son projet verra le jour quand on le porte en soi pendant trente ans? 

 

Éric-Emmanuel Schmitt : J'avoue avoir été découragé à de nombreuses reprises. Je me disais : " Ça y est, cette fois tu commences à l'écrire. “ J' y ai cru plusieurs fois mais à chaque tentative, je découvrais que je n'étais pas encore prêt. Parce que le projet n'était pas encore mûr, parce que je n'avais pas résolu analytiquement tous les problèmes qu'il posait. J'ai donc été fâché avec moi-même pendant un certain temps, je me voyais comme un raté qui procrastinait... Mais je crois que ce roman était en fait plus grand que moi, qu'il nécessitait que j'évolue. C'est aussi ça, la force des projets ambitieux : ils obligent à gravir des marches et à repousser ses limites pour se mettre à la hauteur de ce qui nous a traversés. Le livre commande et comme je n'écris des romans que lorsque je suis prêt, ce n'est qu'il y a trois ans que j'ai enfin pu me lancer sur celui-là. 

 

Fémi-9 : Quel a été le déclic ? 

 

Éric-Emmanuel Schmitt : La mort de ma mère. C'était une femme extraordinaire avec qui j'avais une relation d'une qualité formidable. Je crois que le petit garçon au fond de moi qui croyait sa mère immortelle a disparu en même temps qu'elle et je me suis dit qu'il n'y avait pas une seconde à perdre. J'ai toujours aimé l'intensité de la vie mais je me suis rendu compte après son départ que le temps était compté et que si j'avais quelque chose à réaliser, il fallait que je le fasse maintenant. Sans compter que tous les problèmes intellectuels que posait ce projet littéraire s'étaient finalement résolus. Une fois remis du chagrin, j'ai donc pris la plume et tout est sorti. 

 

Fémi-9 : Les liens entre l'homme et la nature sont très importants dans ce premier tome. Il était essentiel pour vous de mettre en avant ce rapport fondamental ? 

 

Éric-Emmanuel Schmitt : Oui. Je crois que nous vivons une époque absolument unique car l'homme prend  conscience qu'il est sans doute allé trop loin dans sa maîtrise, sa domination et son exploitation de la nature.
Et dans ce premier roman, Noam s'interroge lui aussi sur le trajet qui a amené les hommes à changer le paysage, à exploiter la terre ou à en épuiser ses ressources. J'ai appelé ce premier tome Paradis perdus en référence à cette période révolue où nos ancêtres peu nombreux évoluaient dans une nature généreuse sans aucun sentiment de supériorité ni volonté de domination. Jusqu'à la période de la Préhistoire avec laquelle je débute ma saga: arrivent alors

l'invention de la société, les chasseurs cueilleurs nomades qui deviennent sédentaires, se mettent à travailler, à diviser les tâches, à faire plus d'enfants et inventent notamment le foyer, la femme au foyer et le patriarcat. 

 

 

Fémi—9 : Y a-t-il des auteurs qui vous ont inspiré pour cette saga en huit tomes? 

 

Éric-Emmanuel Schmitt: Pour le côté encyclopédique, Denis Diderot bien sûr ! Le fondateur de la première encyclopédie valorisait le savoir sans hiérarchie et je partage cette idée qu'il n'y a pas de savoir noble et de savoir modeste. Comme lui, je suis quelqu'un de curieux et d'exhaustivement passionné ! 

Et pour l'aspect historique et initiatique, Alexandre Dumas. Je lui dois l'amour de la lecture et de la littérature : c'est grâce à son chef-d'œuvre Les Trois Mousquetaires que je suis devenu un grand lecteur à l'âge de huit ans. 

 

Fémi—9 : Comment fait-on pour ne pas s'épuiser ou se lasser quand on se lance enfin dans un tel travail au long cours ?

 

Éric-Emmanuel Schmitt : C'est à la fois un plaisir et une crainte quand on se lève sans savoir ce qu’on va faire. Me sentir engagé auprès de ce récit qui veut exister et aussi stimulant qu’épuisant… J’avoue que j’ai parfois l’impression d’être l’esclave de mon roman (rires). Mais j’ai décidé, il y a longtemps, d’^tre heureux et donc d’aimer toutes les tâches qui constituent le travail d’écrivain: imaginer, rédiger mais aussi couper, recommencer et relire encore et encore.

Je travaille énormément mais cela ne me fait pas souffrir. Et dès que j’ai posé la dernière ligne au premier tome, j’ai commencé le deuxième que je suis en train d’achever.

 

Fémi—9 : Quels sont les premiers retours des lecteurs au sujet de Paradis perdus? 

 

Éric-Emmanuel Schmitt : Ils sont formidables! Moi qui n'ai jamais eu autant peur à propos d'un de mes romans, je n'ai jamais été aussi satisfait du résultat. Même si je suis bien conscient qu'il y a maintenant beaucoup d'attentes pour la suite et que tous ces retours positifs m'ont fait perdre le sommeil ! Jusqu'à présent, je me mettais ma propre pression et je m'arrangeais assez bien avec moi-même mais je dois maintenant intégrer cette pression qui vient de l'extérieur. 

Depuis que le roman est paru, les gens qui me croisent dans la rue me disent: "Mais vous êtes en train de promener vos chiens ? Il faut rentrer écrire la suite ! " Cet enthousiasme est très étrange mais aussi très exaltant... 

 

Critiques des blogs

La liseuse hyperfertile - « Une expérience de lecture passionnante. »

La traversée des temps : Quel projet fou et ambitieux que nous propose Eric Emmanuel Schmitt  dont voici le premier livre d’une série de 8 tomes annoncée. J’ai commencé ma lecture avec appréhension. C’était un peu quitte ou double, soit j’allais aimer ou alors m’y ennuyer terriblement. L’idée de me plonger dans une grande et longue épopée à travers les siècles me laissait dubitative.

On fait la connaissance de Noam à Beyrouth, au milieu des voitures, des écrans de téléphone, du bruit, des immeubles, d’un quotidien trépidant. On comprend vite que l’homme ne semble pas à sa place, qu’il est de partout et de nulle part à la fois, qu’il est d’un autre temps. En effet, notre homme est né il y a des milliers d’années, au bord d’un lac (au cœur du néolithique). Dans ce roman, c’est alors la première partie de sa vie qu’il nous raconte : ses origines, son clan, son parcours pour devenir l’homme qu’il est. On assiste à la rencontre avec l’amour, en la personne de Noura. Et quel amour, celui d’une vie entière, une passion bouleversante.

Un évènement va tout bouleverser pour Noam. Alors qu’il aurait dû mourir, miraculeusement il survit et ses blessures disparaissent. Alors qu’au fil des années tous autour de lui s’éteignent, lui ne vieillit plus. Il semble immortel. Est-ce une bénédiction ou un fardeau ?

A peine ai-je fait la connaissance de Noam que je voulais tout savoir de lui. J’ai été happée par son quotidien et celui de son clan. J’ai détesté le chef du village, Pannoam, qui est aussi son père. J’ai eu beaucoup d’empathie pour Mina, son épouse. J’ai découvert Elena, sa mère, comme lui la redécouvre au fil du récit. J’ai traversé les bois avec lui, dormi dans une caverne, j’ai craint l’ours, j’ai combattu les chasseurs, j’ai cru aux vertus de la mélisse, du céléri et des autres plantes.

On pourrait se demander ce qu’il y a d’intéressant à suivre sur plus de 500 pages la vie d’un homme au néolithique. Mais Eric Emmanuel Schmitt nous livre une histoire passionnante, pleines de surprises et de rebondissement. Un roman d’aventure mêlé à une quête initiatique intense. Un vrai suspens est mis en place avec des drames, des trahisons, des passions et des vengeances.

Avec ce roman, on apprend tellement de choses. Tout le récit est empreint de références philosophiques, religieuses, sur la nature, sur l’humain dont l’auteur sait si bien user sans pour autant nous ennuyer. Le texte fourmille de notes nous donnant des éléments supplémentaires qui nous enrichissent et qui donnent des détails techniques ou historiques. La place de la nature est très importante dans l’histoire et nous montre comme les saisons, les arbres, les éléments naturels, les végétaux  avaient une place centrale dans le quotidien de ces Hommes.

Il y a bien longtemps que je n’ai pas ressenti un tel plaisir de lecture. Je tournais compulsivement les pages, je n’arrivais pas à lâcher ce livre. Le dernier tiers du roman, je me surprenais à parler à Noam, à commenter ces actions, les révélations. Et quand je fais ça, c’est que je me suis totalement approprié l’histoire. J’ai tourné la dernière page, sonnée par les derniers rebondissements et avec l’envie d’en savoir davantage, de rester avec Noam, et qu’il continue à me conter son extraordinaire traversée.

Il me tarde déjà de lire le prochain tome de cette extraordinaire saga littéraire, dont vous trouverez ci-dessous la composition.

 

Ma notation :

Une expérience de lecture passionnante. Je crois bien qu’avec la traversée du temps, Eric Emmanuel Schmitt va faire rêver, voyager et vibrer des milliers de lecteurs.

 

Audrey

La bibliothèque de Juju - « Un « déluge » d’émotions, de sensations, de réflexions et d’aventures. »

Ce roman est une folle entreprise.

Imaginez ! Racontez l’histoire du monde en huit tomes à travers les yeux d’un immortel … Il n’y a bien que Monsieur Schmitt pour se lancer dans une telle odyssée !

Ce roman est la première pierre d’un projet pharaonique qui tient à cœur à l’auteur depuis des années et qu’il préparait avec amour depuis longtemps.

Pour lancer son grand œuvre, il nous amène à la rencontre de Noam, qui semble se réveiller d’un long sommeil, dans une grotte, de nos jours. Que fait-il là ? Où va-t-il ? En quel état erre-t-il ?

Noam est né il y a 8000 ans et ce premier tome nous entraîne à sa suite dans « dans un pays de ruisseaux et de rivière, au bord d’un lac, devenu une mer », ce fameux paradis terrestre, où sa folle destinée viendra à sa rencontre sous les traites d’une femme, la femme qui hantera ses jours et ses nuits, qui le révélera à son destin hors du commun, la mystérieuse Noura …

Erudit et passionnant, un roman à l’orée de l’humanité et des genres. Un roman comme une machine à remonter le temps qui vient illuminer le présent, lorsqu’hier explique aujourd’hui. Un roman pour remonter les courants, les idées, les concepts, dans tant de domaines qu’il donne le vertige. Remonter aux origines, celles du Savoir, cette connaissance de l’Homme que chérit Eric-Emmanuel Schmitt et qui nous pousse à tourner chaque page comme un album de famille, celle de notre humanité, Noam devenant notre ancêtre à tous.

Parlons également de cette superbe couverture qui donne tout de suite envie de plonger dans cette saga folle, qui une fois terminée, dans quelques années, fera du plus bel sur nos rayonnages.

Je ne peux que vous conseiller à vous lancer, à votre tour, sur les traces de Noam, pour profiter pleinement d’un ouvrage qui véritablement, vous offrira un « déluge » d’émotions, de sensations, de réflexions et d’aventures. Un ouvrage qui redonne vie aux paradis perdus et à l’Homme dans ce qu’il fut pour devenir …

J’attends le second tome avec impatience, foi de Juju …

Valmyvoyou lit - « Une référence littéraire »

Cela fait trente ans qu’Eric-Emmanuel Schmitt désire réaliser ce magnifique défi : raconter 8 000 ans de l’histoire de l’humanité, à travers la voix de Noam. Ce dernier est né, pendant l’ère du Néolithique et a traversé les époques. Il a été le témoin de toutes les évolutions et de toutes les révolutions. Dans le prologue de ce premier tome, alors qu’il est à Beyrouth, à une époque à laquelle des gens écrivent des messages, sur des boîtes plates lumineuses, il décide de raconter son épopée à travers les siècles. Dans la première partie, intitulée Le lac, il ne sait pas encore qu’il est immortel. Il conte sa vie auprès des siens, au temps de la Préhistoire. Il est le fils aîné du chef du village, un homme très respecté. Il admire son père et aspire à être aussi juste et bon que lui. Mais ne dit-on pas qu’il faut tuer le père pour grandir ? Noam décrit la vie des villageois sédentaires, le quotidien, les découvertes, les règles qui régissent la vie en communauté, etc. Les Hommes ne se considèrent pas supérieurs à la nature : c’est elle qui est souveraine.

Dans la deuxième partie, nommée Le déluge, la nature se manifeste. Cet événement dramatique marque un changement pour l’Humanité, mais aussi pour Noam. L’immortalité, est-elle un cadeau ou un fardeau ? Comment vivre au milieu des autres, avec une différence qui fait peur ?

Paradis perdus est le premier opus de la saga La Traversée des temps qui en comportera huit. Chacun correspondra à une période charnière de l’Histoire. Il y a quelques années, j’ai revu une de mes anciennes professeurs d’Histoire, à un salon, alors qu’elle publiait un recueil historique. Dans sa dédicace, elle avait écrit qu’elle espérait que je croirais à ses écrits. Elle se rappelait que, plus jeune, j’avais du mal à croire à ce qui était trop lointain. Aussi, c’était un challenge pour moi de lire un roman se déroulant, pendant la Préhistoire.

Je n’ai pas de mots pour expliquer à quel point, j’ai été captivée par Paradis perdus. J’ai été passionnée par l’aspect historique. Contrairement à ce que ma nature laisse supposer, j’ai aimé vivre au Néolithique, auprès de Noam et des siens. J’ai écouté leur philosophie qui laisse entrevoir les mutations que le progrès engendrera sur les relations entre les Hommes et sur celles entre la nature et l’Humain. Les personnages m’ont attendrie et émue. Bien sûr, Noam m’a énormément touchée. J’ai aussi eu un élan d’amour, envers Barak, un homme fort et puissant, au cœur immense et à l’affection débordante. J’ai été transportée par les histoires d’amour, que ce soient les sentiments de couple ou ceux maternels et filiaux. J’ai aimé l’ambivalence de certains personnages, qui montre que la personnalité n’est pas tranchée, qu’elle dépend de nombreux éléments, tels que les épreuves, les circonstances, etc.

Paradis perdus laissent présager une série mémorable. Je pense que cette œuvre romanesque et historique deviendra une référence littéraire qui sera encore présentée, dans plusieurs décennies. C’est un avis personnel, cependant, j’ai un sentiment d’éblouissement pour ce projet gigantesque et pour ce texte qui m’a fait vivre une aventure livresque inédite. L’incroyable travail de documentation, retransmis avec passion, mêlé à la fabuleuse trame romanesque, me rend riche de connaissances et de réflexion profonde. La Traversée des temps relate notre Histoire. Je n’ai pas de mots pour décrire mon coup de foudre inaltérable pour ce voyage inoubliable.

Je remercie sincèrement Claire des Éditions Albin Michel pour ce service presse.

MademoiselleLit - « Un chef d’œuvre littéraire. 10/10 »

Quelle émotion aujourd’hui de vous parler de ce titre ! Pour les gens de passage, Eric-Emmanuel Schmitt est l’auteur qui m’a initiée à la littérature il y a près de dix ans. Depuis, je ne fais l’impasse sur aucune de ses nouvelles parutions, attendant cela comme le “Messie” ! Après plusieurs œuvres courtes et au ton léger, l’écrivain s’est lancé dans une aventure démentielle : retracer l’Histoire de l’Humanité, du néolithique à nos jours. Une Traversée des temps de huit tomes dont le premier vient de paraître, Paradis perdus.

A sa naissance il y a huit mille ans, Noam ne pouvait s’imaginer sa future destinée : une immortalité qui le fera traverser toutes les époques et affronter plusieurs drames. Le premier, capital, le marquera éternellement. Son père Pannoam, chef du village, décide de prendre pour deuxième épouse la jeune Noura dont Noam est tombé follement amoureux. Avec cette trahison, le jeune garçon voit sa figure paternelle – dont il était totalement dévoué – s’effondrer. Et le village, déçu, risque de très vite réclamer un nouveau représentant…

Avec ce roman de plus de cinq cents pages, c’est une épopée magistrale que propose Eric-Emmanuel Schmitt. Et un pari osé ! Celui d’embarquer le lecteur dans cette épreuve littéraire longue et historique, loin de ses habitudes et ses plus gros succès. Le challenge est relevé ! L’auteur dessine une palette de protagonistes attachants et un récit des plus captivant. Noam est un héros comme on aime les vénérer en littérature : intelligent, doué, sensible et terriblement humain. Ses failles le rendent séduisant et ses victoires nous réjouissent. Derrière les traits de Noam, c’est évidemment la légende de Noé qui se devine. Eric-Emmanuel Schmitt utilise le Déluge comme trame principale à son récit. On apprend, on s’enrichit à la lecture du livre, sur cette partie néolithique et biblique de notre Histoire. Les dangers d’alors reflètent aussi une belle comparaison du monde contemporain.

Outre le pan historique repris dans Paradis perdus, le texte romanesque est d’une inventivité surprenante. La créativité spécifique bien souvent aux nouvelles d’Eric-Emmanuel Schmitt se distingue ici aussi. L’auteur fait foi d’une imagination dévorante et stupéfie jusqu’à la dernière page. Les épreuves de Noam et ses proches nous tiennent en haleine.

Les mots de l’auteur, sa langue viennent sublimer l’ensemble pour offrir un chef d’œuvre littéraire, d’une qualité et puissance rares. Gare à ceux qui oseraient prétendre qu’Eric-Emmanuel Schmitt devient “commercial”. Il nous démontre par son verbe travaillé le contraire ! Le dramaturge initie sans aucune hésitation le plus bel acte de sa vieLa Traversée des temps est l’aboutissement de plus de trente ans de réflexion et de documentation. Paradis perdus en est une sublime introduction et mise en bouche. Maintenant, vite, la suite M. Schmitt ! La suite !

 



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